Engagement républicain et sentiment d'appartenance à la Nation

Alain FINKIELKRAUT : “La fermeté doit prévaloir sur la contrition qui ne mènera à rien”

3 mars, 2015 · Pas de commentaire · Non classé

Lundi 2 mars, Gérard LARCHER s’est entretenu avec Alain FINKIELKRAUT, Philosophe.

Hôtel de la Présidence, Lundi 2 mars 2015, 16h.

M. Gérard Larcher, président du Sénat. Merci, monsieur Alain Finkielkraut, d’avoir répondu à mon invitation.

M. Alain Finkielkraut, membre de l’Académie française. – Merci à vous de me recevoir.

M. Gérard Larcher – La réflexion que je voudrais partager avec vous aujourd’hui porte sur deux points : comment assurer le respect des principes républicains ? Quelle est la place de l’école ? Comment lutter contre le communautarisme ? Vous avez écrit : « il faut que les élèves aient le loisir d’oublier leur communauté d’origine et de penser à autre chose… »

M. Alain Finkielkraut. – C’était l’appel de 89…

M. Gérard Larcher – Autre question à laquelle nous réfléchissons : L’identité est-elle « malheureuse », pour reprendre le titre de votre dernier ouvrage ? Est-elle crispée sur des « identités meurtrières » ? Le 11 janvier, une partie de la France ne se lève pas, ne se sent pas concernée …

M. Alain Finkielkraut. – Les Français qui manifestaient ce jour-là, proclamant « je suis Charlie » brandissaient aussi des pancartes « je suis la République », « je suis la police », « je suis Juif ». Les applaudissements aux forces de l’ordre furent l’un des moments les plus émouvants, parmi cette foule qui manifestait au nom de Charlie, de l’esprit soixante-huitard. C’était une réconciliation de toute une partie de la société avec les forces de police, ainsi qu’une défense de la civilisation française devant une attaque innommable. Ce n’est pas la société qui est descendue dans la rue, c’est la Nation. Pour la première fois, les gens manifestaient en tant que Nation : ce fut un moment extraordinaire.
Une partie de la population française a boudé cette manifestation, les « jeunes », comme l’on dit, des quartiers défavorisés, sensibles, difficiles, qui connaissent la place de la République, n’ont pas voulu venir. Ce refus s’est accompagné, dans les écoles, d’expressions hostiles à Charlie hebdo, à la minute de silence. On en a parlé, alors que ce genre de choses était passé sous silence. Cela fait des années que monte en France une francophobie extrêmement violente, qui ne se dit pas, qui n’est toujours pas officiellement dénoncée : il s’agit de lutter contre le racisme et l’antisémitisme, contre l’islamophobie et la judéophobie ; la francophobie n’est pas au programme, bien qu’elle soit aussi présente. Les deux injures les plus répandues dans les banlieues sont « sale Juif !» et « sale Français ! » ou « sale Séfran ! ». L’étau du « politiquement correct » s’est, temporairement, un peu desserré.
Cela n’a pas duré très longtemps…même à Charlie hebdo, dont la dernière couverture était honteuse : « C’est reparti ! » titre-t-elle, montrant le chien Charlie poursuivi par des molosses, où l’on retrouve les vieilles querelles habituelles : l’islamiste, ennemi contre lequel tout le monde s’était réuni, est noyé, parmi Marine le Pen, Nicolas Sarkozy, la Manif Pour Tous, le pape, tous aux trousses du pauvre Charlie, alors que Nicolas Sarkozy a soutenu Charlie hebdo lors du procès qui lui était fait en 2005-2006, comme si eux-mêmes ne pouvaient pas assumer la manifestation de solidarité qui s’est réunie pour eux : la France unie contre un même ennemi…Charlie hebdo revient à l’opposition entre progressistes et réactionnaires : ce n’est plus l’esprit du 11 janvier, mais celui de L’Étrange Défaite de Marc Bloch. Personne n’ose le dire ! Le rire redevient l’instrument de la vieille propagande antifasciste, alors que ce n’est pas notre problème : il n’y a pas de fascisme en France ; même le lepénisme actuel, qui est très dangereux, n’est pas un fascisme.
Le moment de lucidité fut donc très court : l’esprit du 11 janvier est apparu et aussitôt a disparu. Cela révèle qu’il n’y a pas un peuple en France, mais plusieurs, peut-être deux peuples, en voie de séparation. Le métissage est un paravent, une blague. On ne se mélange pas. La réalité, c’est le séparatisme territorial, ethnique et culturel. La construction des logements sociaux n’y changera rien : c’est ce que dit Christophe Guilluy…

M. Gérard Larcher – Nous l’avons entendu…

M. Alain Finkielkraut. – Les banlieusards habitaient au-delà du périphérique, ils sont allés au-delà de la banlieue et si celle-ci les rejoint, ils rejoindront directement Marine Le Pen. S’ils ne peuvent rien faire, ils iront encore plus loin, parce qu’ils ne veulent pas de ce mélange, avec le risque de la délinquance, des dealers, de la violence à l’école. Cette situation a été dénoncée dans Les Territoires perdus de la République, paru en 2002, qui n’a pas reçu assez d’écho. Il y était déjà question de cette francophobie, d’élèves français, catholiques, persécutés parce que français, catholiques, des élèves juifs qui quittent massivement l’école publique…

M. Gérard Larcher – Oui.

M. Alain Finkielkraut. – …parce qu’ils ne s’y sentent pas bien, parce qu’ils sont menacés.
Je ne crois pas que l’on puisse réponde à ce phénomène par l’autoflagellation. Si l’esprit du 11 janvier a disparu si vite, c’est parce que tout de suite après que la République s’est mise debout, qu’elle eut affirmé « nous ne céderons pas ! », le Premier ministre a parlé d’apartheid, de ghettoïsation, ce qui revient à la placer sur le banc des accusés. Tout est de sa faute, à cause des inégalités, de l’absence de perspective professionnelle, etc. Si des gens haïssent la France et la République, c’est parce que celles-ci ne tiendraient pas leurs promesses et peut-être les déteste-t-on pour ce qu’elles ont d’émancipateur, comme le prouve le problème de la mixité.
Si des cours sont contestés, si l’on ne peut plus enseigner Madame Bovary, ce n’est pourtant pas la faute de la République, mais à cause d’une sécession culturelle. Il ne faut rien céder là-dessus. La fermeté doit prévaloir sur la contrition, à nouveau à l’ordre du jour, qui ne mènera à rien, puisqu’elle installera des gens dans le ressentiment dont il faut, au contraire, les sortir.
Il faut leur dire : « certes, la situation est difficile, mais si vous vous prenez en mains, vous n’êtes pas condamnés au chômage ». Ce qui vous enferme dans le chômage, c’est, par exemple, cet étrange parler des banlieues, qui n’est ni l’accent des parents, ni la manière courante de parler le français, et qui se perpétue maintenant de génération en génération.
Je suis effaré par la situation qui règne en France : si cela continue, et si l’immigration se poursuit à ce rythme, on va vers quelque chose qui ressemblera à un conflit civil, des émeutes…Le seul moyen d’y répondre, c’est d’être intransigeant sur certains principes, de ne rien concéder à la philosophie de l’excuse.
Quand je lis sous la plume de Le Clézio que ces jeunes, qui deviennent djihadistes, terroristes, ont été « mis en échec à l’école », je réponds : non, ils se sont mis en échec tout seuls ! Les professeurs sont là, essaient de faire cours comme ils peuvent…même si les bons élèves sont traités de « bouffons » ou « d’intellos », si on leur oppose l’argent facile gagné par la drogue, si le rap et ses paroles concurrencent la culture apprise à l’école. En quoi la République en est-elle responsable ? Le rap n’est pas seulement l’expression de la haine, mais l’apologie du fric facile. Bien sûr, la télévision joue son rôle, mais ce n’est pas la République ! La République a tort de ne jamais oser dire ce qu’est le rap : des harangues en guise de rengaines, la prédication de la haine, ce que personne n’ose dire parce que c’est un art qui vient des banlieues…Nous sommes tétanisés devant le phénomène qui devrait au contraire nous trouver résolus à le combattre : voilà L’identité malheureuse.

M. Gérard Larcher – Je partage votre analyse sur le passage du sursaut à la victimisation qu’implique l’usage du mot « apartheid ». Quelle est votre vision de l’assimilation ?
Je souligne qu’une partie de notre armée professionnelle – je parle de la troupe, pas des officiers – est constitué de jeunes issus de l’immigration qui défendent la France de manière assez exceptionnelle. Je l’ai constaté au Mali!

M. Alain Finkielkraut. – Je suis enfant d’immigrés : mon père, arrivé en France dans les années trente, a été déporté de France, ce qui explique qu’il n’avait pas que des sentiments amicaux pour ce pays. Ses parents, dénoncés par un passeur, étaient trop vieux pour survivre à Auschwitz. Il a rencontré ma mère, qui venait de Pologne, à son retour d’Auschwitz. Nous avons bénéficié d’une naturalisation collective lorsque j’avais un an. Je ne suis donc pas tout à fait Français de naissance. Leur langue maternelle était le polonais (et le yiddish pour mon père). Ils m’ont mis à l’école, ils voulaient que je m’assimile, sans rien perdre de mon identité, en tout cas du sentiment d’être Juif. Le terme d’israélite avait disparu, au lendemain de la guerre. À aucun moment je n’ai ressenti une pression pour me fondre dans la masse.
Rétrospectivement, l’assimilation constituait pour moi la proposition d’assimiler une partie importante de la culture française et l’on n’assimile pas tout par l’école, c’est vrai. Voilà pourquoi je ne supporte pas la polémique autour des « Français de souche », dont j’ai été victime dans l’émission Des Paroles et des actes, animée par David Pujadas, face à Manuel Valls, mettant en avant, avec optimisme, l’intégration que nous représentions tous les trois. Je lui ai répondu : « oui, mais n’oublions pas les Français de souche », ce qui déclencha l’indignation de deux hiérarques socialistes auprès du CSA. Aurélie Filipetti a recommencé à propos de l’usage de cette expression par François Hollande, citant la fameuse phrase de Camus : « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». En l’occurrence, aujourd’hui c’est nommer les choses qui deviendrait criminel : on ne peut plus rien nommer, rien dire !
Je suis devenu Français par l’école. L’égalité doit être juridique, mais qu’il y ait des différences par l’imprégnation, c’est normal. Pour moi, l’assimilation n’était pas un carcan, mais un don. Je constate qu’aujourd’hui, même l’intégration est remise en cause.
Le rapport de 2013 de Thierry Tuot, conseiller d’État, au Premier ministre sur la refondation des politiques d’intégration est révélateur. Sous le titre La grande nation pour une société inclusive, il traduit un état d’esprit extrêmement répandu, en s’en prenant à « la célébration angoissée du passé révolu d’une France chevrotante confite dans une tradition imaginaire », qui doit être écartée, au profit de « l’inclusion », laquelle ne demande rien à l’autre, sinon de s’épanouir tel qu’il est dans une société…

M. Gérard Larcher – Où il n’y a plus de socle commun…

M. Alain Finkielkraut. – Oui, et l’identité française est contrainte de se faire toute petite pour ne pas empêcher les autres de persévérer dans leur être. Cela me paraît complètement fou : il y a un héritage commun, que la France offre aux nouveaux arrivants et il faut continuer.
Pour en revenir au 11 janvier, certains de ceux que l’on appelle les « jeunes » n’ont pas compris que l’on autorise le blasphème, qu’il soit permis d’offenser leur « Prophète ». Désormais, tout le monde ne vit pas à la même heure. En France, il y a longtemps que le blasphème est devenu un crime sans victime. Certes, il a fallu passer par Voltaire, le chevalier de La Barre. On étudie, ou l’on étudiait, Dom Juan, grand blasphémateur, mais entre Don Juan et le Commandeur, on choisissait Don Juan. Eh bien, il y a des élèves qui optent désormais pour le Commandeur…
Il n’y a pas de synchronie, de synchronisation. Il faut au moins que, dans un même pays, l’on soit synchronisé, que l’on vive au même rythme la même histoire. Il ne s’agit pas de faire perdre aux gens leur identité, mais de leur offrir un héritage dans lequel ils peuvent s’inscrire. L’hospitalité consiste à offrir quelque chose : la France a un grand héritage, qui ne commence pas avec les valeurs républicaines, qu’il faudrait prêcher. Cet héritage extraordinaire est littéraire, culturel, architectural, historique. Je suis Juif, mais j’adore les magnifiques églises des villages de Dordogne, qui sont un privilège pour tout le monde et n’insultent personne. Elles sont offertes à tous.
Max Horkheimer, de l’école de Francfort, avait forgé le terme de non-contemporanéité des contemporains : nous y sommes, sur un même territoire. Cela cause des problèmes. Ne nous mettons pas à l’heure des autres : aux autres de se mettre à l’heure française ! Voilà pourquoi je propose ce mot de synchronisation.

M. Gérard Larcher – Que penser d’un ministre de la fonction publique qui dans le cadre de la réforme du concours de l’ENA, supprime, l’an dernier, l’épreuve d’histoire, qui n’était certes qu’une épreuve facultative ?

M. Alain Finkielkraut. – C’est terrible…. – Déjà, la culture générale est supprimée de certains concours administratifs sous le même prétexte. C’est ainsi que l’on raisonne à l’école, dans le primaire, le secondaire et dans le supérieur. Cela a commencé avec Les Héritiers, de Pierre Bourdieu. Il y a des gens qui sont un peu avantagés, parce qu’ils ont une bibliothèque à la maison, et que leurs parents les amènent au théâtre, au musée, etc. Pour lutter contre cet avantage indu, on réduit l’héritage à sa plus simple expression, au nom d’une idée égalitariste, à rebours de l’idée républicaine, laquelle consiste à offrir cet héritage à un maximum de gens. Du coup, on en arrive à l’enseignement de l’ignorance !
Il ne s’agit pas d’embellir notre histoire nationale, mais de la connaître, de savoir, lorsque l’on passe devant l’Assemblée nationale, qui sont Sully, le chancelier d’Aguesseau, Colbert, et Michel de L’Hospital. Ce sont des repères. Le vivre ensemble est d’abord un monde commun : préservons-le par la transmission, par l’histoire.
Le niveau lacunaire en histoire est dû aussi à la forme actuelle de l’enseignement de l’histoire, par blocs civilisationels, une forme compliquée, à laquelle on ne comprend plus rien, la chronologie ayant disparu. Il faut revenir à l’histoire de France, qui a toujours été ouverte sur l’histoire de l’Europe et du monde. Ces évidences ont été perdues de vue, pour des raisons idéologiques…

M. Gérard Larcher – Et en raison d’une folie collective ! Nous sommes nés la même année. Ce que vous dites me fait penser au système éducatif qui m’a formé…

M. Alain Finkielkraut. – Le concours de vétérinaire est l’un des plus difficiles…

M. Gérard Larcher – Moins que l’ENA, sans doute, mais il comportait une épreuve de philosophie des sciences… Quel est votre regard sur l’Islam ? J’ai relu l’histoire de la laïcité en France de 1890 à 1914 : ce fut une période terrible…notamment pour les congrégations.

M. Alain Finkielkraut. – Oui. Les catholiques ont souffert !

M. Gérard Larcher – Je rentre de Russie, où l’Islam extrême est aussi un sujet de préoccupation, bien qu’il soit traité selon des méthodes propres à M. Kadyrov…

M. Alain Finkielkraut. – …qui ne sont évidemment pas transposables. En Tchétchénie, plusieurs centaines de milliers de manifestants ont défilé, à l’instigation du pouvoir mis en place par M. Poutine, contre Charlie. Ne nous inspirons pas de l’exemple russe !
Je n’ai pas de compétence particulière en la matière, mais je pense que l’on ne peut prétendre, comme le président de la République, que les attentats n’ont rien à voir avec la religion musulmane. Bien sûr que si ! Si des gens meurent au nom de l’Islam, cela a quelque chose à voir avec l’Islam. Alain Juppé a dit : « ces gens sont sans foi ni loi » : Non ! Ils sont capables de mourir en raison d’une foi fanatique, qui a été analysée par la philosophie des Lumières. Y a-t-il un Islam des Lumières ? Il faut distinguer l’Islam et le fanatisme islamiste.
Le « pas d’amalgame » ne doit pas nous interdire de penser, mais je suis inquiet que les trois religions du Livre ne puissent pas vraiment dialoguer. Il y a un contentieux entre Juifs et Chrétiens, mais il y a la Bible, les catholiques ne doutent pas de la réalité de l’Ancien Testament et le dialogue existe. Le problème, avec l’Islam, c’est qu’il estime que les Juifs et les Chrétiens ont falsifié leurs Écritures, donc que ce sont des menteurs. Dès lors, le dialogue religieux me paraît difficile.
On peut se répandre en bons sentiments, se réconcilier sur le perron de l’Élysée, tant mieux, mais demeure, avec l’Islam, cette difficulté, qui a été analysée par Claude Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques : son livre est d’une sévérité extrême, à tel point qu’il serait aujourd’hui poursuivi par toutes les associations, peut-être même par le MRAP… Il soutient en substance que c’est la religion qui récapitule toutes les autres et les rend inutiles. Cette difficulté ne pourra être surmontée, que le jour où l’Islam acceptera l’apostasie, considérée comme un crime, ce qui explique que les conversions ne jouent qu’en sens unique. Si un homme ou une femme, catholique ou protestante ou juive, rencontre un musulman, il ou elle doit se convertir à l’Islam. L’inverse n’est pas possible…

M. Gérard Larcher – Ou invivable…

M. Alain Finkielkraut. – Oui, je sais très bien que les Juifs s’inquiètent des mariages mixtes, parce que c’est un peuple qui a peur de disparaître, mais c’est la vie et l’apostasie n’est pas un crime. Il faut réclamer à l’Islam l’autorisation de l’apostasie.

M. Gérard Larcher – Marcel Gauchet nous disait que l’Islam en est encore au stade pré-critique.

M. Alain Finkielkraut. – Oui, et c’est encore une question de synchronisation. Nous sommes la religion de la sortie de la religion, pour parler comme Gauchet, nous sommes sécularisés et l’Islam n’en est pas là du tout, d’où ce décalage temporel, historique. Il faut que nos montres indiquent la même heure et elles commenceront à le faire si l’Islam accepte l’apostasie.
Mais l’islam a d’autant plus le vent en poupe que toutes les formes de nationalisme arabe ont été battues en brèche. On peut voir sur Youtube une scène extraordinaire où Nasser, en 1956 ou 1957, raconte aux militants de son parti que le chef des Frères musulmans souhaite que les femmes égyptiennes soient voilées : il provoque immédiatement un éclat de rire général ! Cela leur paraissait aberrant, parce que l’aspiration nationale existait. Le califat, certes contesté, représente aujourd’hui ce grand rêve panislamique, qui correspond à une aspiration identitaire et qui a des répercussions en France. Ce mouvement va en sens inverse de l’ancrage national dont parle Thibaud.

M. Gérard Larcher – L’Islam, tout comme le christianisme, ne peut pas être la première identité…

M. Alain Finkielkraut. – En effet. La France doit être une identité et pas une carte d’identité, qu’elle est pour beaucoup, d’où l’expression « séfran » : pour beaucoup de Français, les Français, ce sont les autres !

M. Gérard Larcher – Revenons-en à l’école. Quel rôle peut-elle jouer pour l’identité, l’assimilation, la « synchronisation » que vous avez évoquée, pour éviter la francophobie ? Comment faire en sorte qu’elle soit francophile ?

M. Alain Finkielkraut. – Pas en enseignant les valeurs, même si celles-ci peuvent être prêchées, sans grand effet, à mon avis, sur les élèves. Mais en réintroduisant la rigueur, l’exigence, l’autorité des maîtres, incompatible avec l’interdiction du redoublement. Tous les efforts doivent être faits en faveur d’un apprentissage de la langue française, dans toute son ampleur, toutes ses nuances, une langue habitée par la littérature. Or elle a été sacrifiée, comme en témoignent les recommandations aux examinateurs…
L’assimilation passera par une connaissance commune de la langue, mais le climat n’est pas favorable. Une étude vient d’être publiée qui montre, ce qui inquiète les médecins du sommeil, que les enfants et les adolescents ne lisent plus : ils sont de petites Poucettes, au sens de Michel Serres, connectés toute la nuit, réveillés par des messages, ce qui nuit à leur sommeil, donc à leurs apprentissages. Vous ne pouvez apprendre la langue à des élèves qui ne lisent plus…La langue orale doit être habitée par la langue écrite. La situation risque d’empirer et je ne suis pas sûr que la numérisation de l’école soit la solution. Comment déconnecter nos enfants ? Telle est la question que tout le monde se pose et le Gouvernement prétend, en allant chercher Xavier Niel, qu’il faut les connecter à l’école ! Je crains que cela n’accélère la catastrophe.
L’assimilation, c’est d’abord la langue. Après viennent les enseignements fondamentaux, ce que l’on appelait autrefois les humanités, la littérature et, bien sûr, l’histoire.

M. Gérard Larcher – Pensez-vous que les déficiences de l’enseignement de l’histoire expliquent la perte des repères, de l’identité ?

M. Alain Finkielkraut. – Oui, bien sûr : si seul le présent existe, il n’y a plus rien. Renan disait que la Nation était « la volonté de faire valoir cet héritage indivis ». S’il est pulvérisé, il n’y a plus de Nation…

M. Gérard Larcher – Il est indivis, il est à transmettre et il s’enrichit. Cela est passionnant.

M. Alain Finkielkraut. – C’est vrai.

M. Gérard Larcher – Merci

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