Les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes

Un blog de la délégation à la prospective du Sénat

Les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes

Etude de faisabilité

Mercredi 1er février 2012 : Examen de l’étude de faisabilité présentée par Mme Fabienne Keller, rapporteur

- Présidence de M. Joël Bourdin, président –

M. Joël Bourdin, président. – Mme Fabienne Keller va présenter son étude de faisabilité sur les nouvelles menaces des maladies émergentes. Selon notre règlement intérieur, nos rapporteurs doivent réaliser ce travail avant d’engager la recherche au fond. Cela nous permet d’apprécier l’intérêt du sujet, la méthode envisagée, ainsi que le budget.

Mme Fabienne Keller, rapporteur. – Le nouveau bureau ayant confirmé en janvier 2012 l’avis formulé en juin 2011 par le bureau précédent, j’ai l’honneur de vous présenter l’étude de faisabilité sur les nouvelles menaces des maladies émergentes.

L’expression « maladie émergente » est utilisée dans de nombreux cas de figure : un syndrome associant de façon originale des causes et des symptômes déjà observés séparément par la médecine, une affection qui n’avait jamais été identifiée auparavant dans une zone géographique ou un environnement humain donné, une maladie qui réapparaît là où elle avait disparu ou dans un environnement nouveau, enfin, une pathologie dont l’origine est nouvellement décrite.

Conformément au règlement intérieur de la délégation, je commencerai par l’intérêt de l’étude.

L’humanité a toujours connu des catastrophes sanitaires. Ainsi, une épidémie de variole a emporté le pharaon Ramsès V en 1157 avant JC. Les grandes explorations conduites au cours de l’histoire ont diffusé de nombreuses maladies, comme la variole ou le choléra. Les agents pathogènes sont extrêmement variés, allant des virus aux prions en passant par les bactéries, les parasites, les champignons, les mycotoxines et les algues. Ils peuvent affecter les plantes, les animaux et l’homme, avec des conséquences parfois graves pour la santé. Sur le plan des principes, il n’y a là rien de nouveau, sinon la rapidité de la diffusion géographique et la gravité des pathologies. Le choléra provient du delta du Gange, d’où il s’est diffusé dans le monde entier, surtout dans les lieux caractérisés par de mauvaises conditions sanitaires. Nous l’observons aujourd’hui en Haïti, où la maladie a trouvé un environnement favorable après avoir été importée par des Népalais.

J’en viens à la définition du sujet.

Il s’agit d’étudier les scénarios de développement de pandémies en fonction de variables médicales, sociales, démographiques ou géographiques par exemple. Les pathogènes ayant le mauvais goût de franchir les frontières sans présenter leurs papiers, le thème ne peut se limiter à la France, ni même à l’Europe.

La délégation sénatoriale pourra utiliser la note de prospective stratégique publiée en 2005 par l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) Santé des plantes et des animaux, maladies émergentes, épidémiologie ; elle pourra s’appuyer sur le rapport publié en 2010 par le Haut conseil de la santé publique Les maladies infectieuses émergentes : état de la situation et perspectives.

Ce travail s’insère dans le prolongement de trois rapports parlementaires : celui réalisé par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la vaccination contre la grippe A(H1N1), auquel s’ajoutent deux rapports de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), l’un publié en 2005 sur le thème Risques épidémiques et biologiques et l’autre, publié en 2010, intitulé Face à la grippe A(H1N1) et aux mutations des virus, que peuvent faire chercheurs et pouvoirs publics ? Mais à la différence de ces trois rapports, le nôtre procéderait d’une analyse pasteurienne allant au-delà du sujet malade pour s’interroger sur les éléments de contexte, avec une longue dimension temporelle. Il porterait également un regard particulier sur le rapport Kourilsky de 2006 présenté au Collège de France Optimiser l’action de la France pour l’amélioration de la santé mondiale : le cas de la surveillance et de la recherche sur les maladies infectieuses.

De façon générale, il convient de traiter les foyers tant que la maladie est encore peu diffusée. N’oublions pas que, selon les scientifiques de l’institut Pasteur de Bangui, les nouvelles menaces des maladies émergentes pourraient provenir de virus déjà présents, notamment en zone tropicale, mais quittant leur foyer naturel pour se diffuser dans le reste du monde à la faveur des déplacements humains. Ces chercheurs en ont déduit que la lutte contre les maladies virales émergentes exigeait une surveillance accrue de la circulation des virus en zone tropicale, où elle n’existe quasiment pas : en Afrique subsaharienne, on diagnostique une diarrhée, jamais sa cause.

J’en viens à la méthode.

Je vous propose une construction progressive, chaque étape comportant une phase de réflexion, une phase d’échanges internes et une phase de communication avec l’extérieur. L’atelier de prospective créé par la délégation sera donc mis à contribution.

La recherche proposée doit envisager les scénarii du pire et les moyens de les éviter. Or, les facteurs d’apparitions sont variés, allant de la dégradation du système de soins au développement des voyages en passant par l’altération de l’environnement ; la résistance aux traitements devient plus fréquente, en particulier pour la tuberculose.

Il est déjà possible de formuler quelques observations : le premier travail sera de faire l’inventaire des documents disponibles ; le second stade sera celui des contacts institutionnels avec les principaux organismes traitant le sujet. Je citerai notamment la fondation Mérieux et le Centre international de recherche médicale de Franceville (CIRMF) au Gabon, un organisme exemplaire en Afrique centrale, disposant d’une remarquable banque de pathogènes.

En première approche, il est possible d’identifier certaines variables expliquant l’apparition de nouvelles menaces. Elles peuvent tenir à l’évolution des pratiques agronomiques, aux changements démographiques ou comportementaux, à la précarité des conditions sanitaires, à la construction de barrages, voire au fonctionnement des hôpitaux. On observe une très grande synergie entre santé animale et humaine.

Le but de l’étude est de croiser des connaissances foisonnantes, que nul n’a transcrites pour en faire des instruments de politique publique.

Ainsi, l’étude prospective devra préciser la liste des variables, examiner les causes des évolutions passées, envisager l’avenir à un horizon de 20 ans, tester les scénarios existants et en élaborer d’autres, enfin identifier des leviers d’action susceptibles d’inverser les tendances défavorables.

J’en viens au calendrier.

Certaines actions ont déjà été engagées. Je mentionnerai d’abord un petit déjeuner de travail le 15 juin réunissant Mme Marie-Christine Blandin et des représentants de l’Agence française de développement, autour du Professeur Patrice Debré, alors ambassadeur chargé des questions de santé. Par la suite, j’ai rencontré le 30 août M. Henri de Raincourt, ministre de la coopération, pour évoquer la coordination de l’action publique contre les maladies infectieuses émergentes. Il faut également citer l’intervention au colloque Concertation pour une politique française internationale de lutte contre les maladies infectieuses émergentes, auquel participaient de nombreux ministres et organismes. S’ajoute la visite du laboratoire P4 de la fondation Charles Mérieux à Lyon, géré par le CNRS, suivie d’un entretien avec M. Alain Mérieux, qui finance un remarquable programme sur les pathogènes. Vint ensuite un déplacement à Libreville du 3 au 7 novembre, à l’occasion du colloque sur les maladies infectieuses émergentes organisé par l’institut Pasteur et le Cirmf. Enfin, je citerai la participation, le 16 novembre, au séminaire organisée par le Quai d’Orsay, consacré à la coordination de l’action entre l’État et les ONG sur la base du rapport commandé par M. Kouchner.

Un atelier de prospective est envisagé pour mai 2012, afin de confronter les points de vue des personnes auditionnées. Il pourrait être précédé de tables rondes thématiques dans une optique pluridisciplinaire. Le rapport final serait présenté en juillet 2012.

Certaines auditions ont déjà eu lieu, d’autres sont programmées au cours des trois prochains mois.

Le dernier point de cette présentation concerne le budget.

La réalisation du rapport de prospective devrait coûter environ 17 500 euros. Cette somme permettrait d’organiser diverses tables rondes, l’intervention de l’atelier de prospective et la réalisation de traductions en anglais. S’ajouteraient les frais de déplacement en France et à l’étranger dans le cadre de colloques ou les visites de laboratoires, l’assistance technique d’organismes partenaires, enfin le recrutement pour cinq mois d’un stagiaire – étudiant en mastère ou doctorant – chargé d’assurer le suivi logistique de l’étude et de tenir à jour le blog ouvert sur le site Internet du Sénat. L’expérience confirme le caractère fructueux d’un tel blog.

En conclusion, je voudrais citer Le destin des maladies infectieuses, ce recueil de conférences données dans les années 20 et 30 au Collège de France par M. Charles Nicolle, fils spirituel de Pasteur : « Je suis inquiet à l’idée de ce qu’il adviendrait d’une population indemne jusqu’ici, si un nouvel agent infectieux venu d’ailleurs venait à s’y propager… Les maladies infectieuses ne disparaîtront jamais. Il en naîtra toujours de nouvelles ; il en disparaîtra lentement quelques-unes ; celles qui subsisteront ne se montreront plus sur la forme que nous connaissons aujourd’hui ».

M. Jean Desessard. – Bravo pour la concision et la clarté de l’exposé. Mais M. Charles Nicolle a aussi écrit dès 1933 : « Il y aura donc des maladies nouvelles. C’est un fait fatal. Un autre fait, aussi fatal, est que nous ne saurons jamais les dépister dès leur origine. Lorsque nous aurons notion de ces maladies, elles seront déjà toutes formées, adultes pourrait-on dire. Elles apparaîtront comme Athéna parut, sortant toute armée du cerveau de Zeus. Comment les reconnaîtrions-nous, ces maladies nouvelles, comment soupçonnerions-nous leur existence avant qu’elles ne revêtent leurs costumes de symptômes ? »

Bref, dès que nous connaissons une maladie, il est un peu tard. Sommes-nous entre une période de développement permettant d’identifier une souche et son inquiétante généralisation ?

Mme Fabienne Keller, rapporteur. – Nous voulons mieux comprendre les maladies animales et végétales pour anticiper leur transmission à l’homme, qui se passe essentiellement dans les pays pauvres, en raison d’une mauvaise hygiène, d’une forte concentration humaine et de système de soins défaillants.

Il est parfaitement justifié de monter des tentes en Haïti pour soigner les malades du choléra, mais il faut surtout améliorer les conditions sanitaires de la population. Le grand assainissement de Paris a pour origine la volonté d’éviter les pandémies.

En remontant à l’origine des maladies, on peut agir à temps.

M. Joël Bourdin, président. – Le budget entre dans le cadre de nos possibilités. Désormais, le recrutement d’un stagiaire fait partie de notre culture : nous n’avons eu qu’à nous louer des services rendus.

La délégation approuve l’étude de faisabilité.

M. Jean Desessard. – Il faudra nous dire contre quoi nous prémunir.

M. Joël Bourdin, président. – Au Gabon, contre le virus Ebola.

Mme Fabienne Keller, rapporteur. – En France, faites attention à la coqueluche.

→Pour en savoir plus : le texte de l’étude de faisabilité présentée par le rapporteur

Partager:
  • Facebook
  • Google Bookmarks
  • LinkedIn
  • Twitter
  • Tumblr