Eric Bocquet, rapporteur de la commission d’enquête
Le président Dominati vous a présenté les conditions dans lesquelles la commission a travaillé et celles dans lesquelles le rapport a été voté.
Je crois que l’unanimité du vote ne doit pas dissimuler les différences d’appréciation qui peuvent subsister entre nous et que traduisent les contributions. Mais, je crois que cette unanimité est malgré tout un événement important. Je veux y voir un accord sur les grands constats du rapport mais aussi sur les pistes à suivre pour mettre à niveau notre politique de lutte contre l’évasion fiscale internationale. J’y vois ainsi une sorte de pacte républicain autour de la nécessité de répondre à cette dimension de la crise de l’impôt qu’est l’évasion fiscale internationale, crise qui est technique mais aussi profondément politique.
Cette conférence de presse est destinée à présenter le rapport, mais aussi les travaux de la commission et ceux que j’ai pu conduire en ma qualité de rapporteur.
Sur les travaux de la commission, je voudrais d’abord exprimer mon accord avec le président sur les limites que nous impose la Constitution. A ces limites de moyens, en temps, en personnel aussi, s’ajoutent des limites juridiques qui peuvent venir de problèmes d’interprétation sur tel ou tel aspect de nos prérogatives. Mais je voudrais dire aussi que grâce à la ténacité du président, nous sommes parvenus à surmonter les plus manifestes. J’ai parlé de la ténacité du président, je voudrais aussi le remercier pour avoir joué le jeu et contribué à ce que l’ambiance de travail de la commission soit propice à une mission qui demandait de la confiance réciproque.
En tant que rapporteur, j’ai fait quelques rencontres fortes que j’aurais aimé pouvoir mieux traduire dans le rapport. Mais, comme vous le savez, l’ouverture d’informations judiciaires au cours des travaux d’une commission d’enquête nous oblige à respecter des bornes constitutionnelles qui nous imposent de ne pas interférer avec le cours de la justice. J’y reviendrai si vous le souhaitez.
A cet égard, on aurait pu s’attendre à ce que la commission d’enquête se polarise sur les affaires. Je crois qu’il y a eu un consensus pour ne rien s’interdire, sauf ce que la Constitution nous interdit, mais aussi pour examiner, plutôt que le particulier, le général, le système. Ce consensus n’a pas été placé sous la bannière d’un quelconque renoncement, mais il a procédé de considérations pratiques. D’abord, à supposer que ce soit sa mission, une commission d’enquête parlementaire ne peut pas en 5 mois faire le travail d’investigation fiscale et encore moins judiciaire qui réclame des années à ceux qui ont la charge de chaque dossier. Nous avons « tangenté » plusieurs de ces dossiers, qui seraient, pour certains, chacun à soi seul la matière d’une commission d’enquête. Ensuite, nous avons considéré de notre devoir de nous tourner vers l’avenir plutôt que de régler les comptes du passé. Evidemment, j’ai voulu examiner ce que celui-ci avait réservé mais dans l’optique de dessiner le futur.
Ces choix me paraissent légitimes et justifiés mais je ne dirais pas toute la vérité si je ne vous indiquais pas en avoir parfois éprouvé une certaine frustration, la même que j’ai pu ressentir de n’avoir pas disposé de tout le temps nécessaire à approfondir les démarches que j’ai pu entreprendre.
Je veux parler des questionnaires adressés aux administrations publiques, mais aussi aux banques et aux entreprises du CAC 40. J’ai rencontré de vraies difficultés du fait des délais de réponse de certains de ces organismes, et parfois de l’absence de réponse résultant quelquefois d’un mauvais-vouloir, quelquefois des contraintes que le questionnaire pouvait comporter. Mais, il aurait fallu surtout beaucoup plus de temps pour pouvoir rebondir sur les réponses apportées, comme il nous aurait fallu plus de temps pour pouvoir revenir sur certaines auditions.
Une certaine frustration donc, mais aussi un certain malaise. Avec notre sujet, nous sommes entrés dans ce que la vie économique du moment a de plus consternant, nous avons touché cette horreur économique qu’a nommée Mme Forrester et qui touche de plein fouet des millions de nos compatriotes. Pendant les débuts de la crise que nous vivons, on a beaucoup parlé de morale, d’avidité. Chacun y est allé de son couplet , y compris des personnalités qui aujourd’hui, comme hier ne sont pas les dernières à se situer dans cette zone « border-line » qui est celle des pratiques d’optimisation fiscale et même au-delà avec l’évasion fiscale internationale. Par ailleurs, quel sentiment voulez-vous qu’on éprouve à constater que des jeunes gens intelligents consacrent toute leur activité à inventer des moyens de jouer avec les lois ? Enfin, il y a bien sûr le malaise de l’enquêteur effaré par ce qu’il rencontre et par la violence qu’il y décèle. J’ai croisé des gens qui avaient subi cette violence ; la commission a été insultée par certain parlementaire suisse que je ne nommerai pas ; nous avons eu des échanges parfois tendus pendant les auditions ; nous avons connu les chocs du mur du silence, de la dissimulation.
Frustration, malaise, mais aussi une certaine satisfaction, celle d’avoir commencé quelque chose dont la pleine utilité se révélera au fil du temps. Se révélera et doit se révéler puisque c’est unanimement que les membres de la commission ont souhaité que ce rapport ait des prolongements. Certains ne seront peut-être pas parlementaires. C’est vraisemblable. Mais de notre côté, comme législateur, et comme contrôleur de l’action du gouvernement, nous avons un devoir de suite auquel nous veillerons.
Nous avons donné un visage à l’évasion fiscale internationale. Celle-ci n’était qu’un nom. Ce n’était pas même un mot car lui manquait d’avoir un sens. Quand on rencontre une telle situation c’est mauvais signe. Ou on a affaire à une chimère et nous avons montré que ce n’était pas le cas. Ou on a affaire à une réalité qui est l’objet de trop peu d’attention pour qu’on sache vraiment ce qu’elle est. Mon sentiment est que nous avons fait beaucoup de progrès pour donner son identité à l’évasion fiscale internationale alors que, les auditions en témoignent, cette réalité est un véritable embarras de pensée pour beaucoup. Or, cette identification est un enjeu essentiel et pour mobiliser contre des pratiques qui ne relèvent de l’optimisation que parce qu’on n’en saisit pas toute la nature et toute la portée. Nous proposons dans le rapport que la France se dote d’une règle générale anti-évasion qui manque à notre système juridique et représenterait une sorte d’aboutissement de la dialectique du droit. Nous souhaitons que cette règle repose sur des notions économiques en adéquation avec ce qu’est l’évasion fiscale ce qui représenterait un progrès par rapport aux constructions générales essentiellement juridiques par lesquelles on l’appréhende aujourd’hui. Cette recommandation s’inscrit dans la logique inachevée de notre système de droit ; elle est aussi à l’œuvre au plan international, que ce soit au Royaume-Uni ou en Europe, dans le cadre du projet ACCIS.
Compléter le droit à partir d’une conception claire du problème, mais aussi mobiliser notre système d’évaluation. Comme pour l’identification de la nature de la chose, on ne peut qu’être frappé par l’absence de toute évaluation de ses impacts de source publique. Misère des évaluations quantitatives, misère donc des évaluations des effets de tous ordres, sur l’équité fiscale, sur la croissance, sur les conditions de la concurrence. On a l’impression que le sujet n’intéresse pas ou bien qu’on veut cacher quelque chose. Sans doute faut-il considérer les faiblesses d’un système statistique confronté au « dissimulé » alors qu’il repose sur des déclarations, mais aussi à une dimension internationale alors qu’il est essentiellement territorialisé. Songez que nous n’avons toujours pas reçu le « jaune budgétaire » sur les filiales des groupes français qui aurait dû parvenir au parlement à l’automne 2011 et que Mme Bricq alors membre de notre commission avait réclamé à Mme Pécresse lors de son audition du 12 avril. Celui-ci était prêt nous avait répondu la ministre, nous devions le recevoir incessamment. Je l’ai réclamé depuis, en vain. Certes la France n’a pas le monopole du mutisme sur l’évaluation du phénomène, mais enfin à l’étranger, que ce soit auprès de certaines administrations, dans le monde académique ou dans des ONG, on dispose d’une floraison d’études qui accréditent l’idée qu’il comporte des enjeux massifs.
Ce diagnostic est aussi celui du rapport. Il repose pour nous d’abord sur des constats qualitatifs : il existe une véritable ingéniérie de la fiscalité à laquelle ont recours les personnes les plus fortunées et les entreprises et qui est l’activité de prestataires de services, appartenant aux professions du chiffre et du droit. Elle rencontre ce que nous appelons une culture de la faille, que secrète un système économique de la performance financière, et un habitus culturel de l’accumulation individualiste dont ont témoigné nombre de nos auditions. Il repose aussi sur l’exploitation des données de la comptabilité nationale qui permet d’identifier un faisceau de risques sur la valeur ajoutée et sur les opérations financières, croisées avec les études les plus robustes sur le offshore, sur les manipulations de prix de transfert et sur la réalité des opérations financières intragroupes. Nous aboutissons à une estimation quantitative des enjeux qui est un message un peu second du rapport. Sans doute, le chiffrage de ce qui nous a semblé pouvoir être chiffré est- il significatif puisqu’on parle d’un risque fiscal compris entre 30 et 36 milliards d’euros. J’insiste sur le fait que cette évaluation ne comprend pas une série de risques, si bien que la limite supérieure n’est pas définissable –est-ce 50 milliards, 80 milliards ?-. Il faudrait procéder à des estimations systématiques que nous réclamons. Mais, surtout, il faut bien voir que l’essentiel est bien dans l’identification qualitative à laquelle nous avons procédé. Elle décrit un phénomène répandu et à très forts enjeux.
Je n’ai pas ici évoqué les différents problèmes que pose la situation de nos compatriotes expatriés à l’étranger, qui n’entrent pas dans l’évaluation que j’ai mentionnée. Nous y reviendrons si vous le voulez.
Je voudrais dire un mot d’un autre sujet qui a été au cœur de la campagne présidentielle, celui du niveau d’imposition des grandes entreprises. Vous savez que le débat a été ouvert par l’ancien président de la république qui déclara avoir découvert que les grandes entreprises ne payaient pas beaucoup d’impôts. En fait, le conseil des prélèvements obligatoires avait déclenché l’interrogation en mentionnant le très faible taux d’imposition de ces entreprises. Un certain nombre d’observateurs ont fait valoir que tout cela était bien naturel puisqu’on mélangeait les choux et les carottes. Il fallait mettre en relation l’impôt payé en France avec les bénéfices réalisés en France. Observation de bon sens puisque nous avons un IS territorial à la différence d’autres pays. Par ailleurs, le chiffre d’affaires de nos grandes entreprises à l’étranger est supérieur à leur chiffre d’affaires français. Mme Parisot nous a alertés sur le niveau historiquement faible du taux de marge des entreprises. On pourrait discuter ce point. Mais nous n’avons pas été convaincus par tout cela. Nous nous sommes souvenus des travaux de Gilles Carrez et nous avons considéré le rapport de M. Jean Philippe Cotis consacré au partage de la valeur ajoutée. Il nous est apparu étrange que des entreprises qui ont un taux de marge de 44 % payent 3,5% de leur valeur ajoutée en IS contre une valeur théorique de 17%. Cette différence ne peut s’expliquer par les seules dotations aux amortissements. Elle oblige à tenir compte de la politique de financement des entreprises, des reports de déficit et des niches fiscales. Ces dernières peuvent s’accompagner d’évasion fiscale, comme pour le crédit d’impôt recherche. Mais ce sont les deux premiers aspects qui sont le champ d’une éventuelle évasion fiscale. Je ne dis pas qu’ils ne relèvent que d’elle mais je dis qu’il y a dans les choix financiers internationaux des entreprises, parfois confortés par la législation fiscale des nids à évasion sur lesquels des arbitrages s’imposeront. Parmi les réponses à mon questionnaire, j’ai été confronté à un assez grand nombre de cas d’entreprises très florissantes qui ne paient pas d’IS. Il arrive souvent que cette situation provienne de dettes contractées pour acheter des entreprises à l’étranger. En ce cas, le fisc français supporte les dettes de ces entreprises sans aucun retour envisageable pour les profits futurs puisque les dividendes remontent en franchise d’impôt. Sans doute les services financiers ainsi rendus devraient être rémunérés, mais rien ne montre qu’ils le soient comme il le faudrait.
Nous avons déjà pénétré dans les mille visages de l’évasion fiscale, que nous décrivons dans le rapport avec soin. Chaque acteur a sa manière, les vecteurs sont nombreux, tout ce qui permet de soustraire de la valeur à ce que peut appréhender le fisc d’un pays. Les techniques sont pluridisciplinaires, financières, juridiques, comptables, commerciales, concrètes, numériques….On aboutit à des situations grotesques. Jersey devient le premier exportateur européen de bananes ; on vend des savonnettes au prix unitaire de l’or. Le offshore réussit des prouesses. Singapour gère davantage de dépôts que le Brésil et le Canada réunis. Les Virgin Islands ont un taux record de 23 entreprises par habitant dont une bonne partie est au chômage sans doute. Le Luxembourg est la deuxième place de gestion de fonds après les Etats-Unis. Les Bermudes sont les réassureurs du Monde.
Dans les techniques utilisées, on retrouve presque toujours une dimension sur laquelle il faut insister pour les enseignements qu’on peut en trier pour l’action : l’opacité. Celle-ci peut venir des institutions elles-mêmes, comme le secret bancaire ou les structures non enregistrées ou anonymes du type trust, ou bien des montages employés, qu’il peut être difficile de repérer et de comprendre. L’opacité résulte aussi de la complexification des structures et des opérations ; elle s’applique tout particulièrement aux actifs incorporels, ce qui situe les enjeux en prospective, puisque ces actifs devraient devenir le centre de notre spécialisation économique alors que leur développement suppose bien souvent des aides publiques.
L’opacité provient aussi du recul de la régulation, qui, avec la concurrence fiscale internationale forme la toile de fond de l’évasion fiscale.
C’est pour réagir à ces excès que le G 20 a engagé une action qui dessine finalement deux voies de lutte contre l’évasion fiscale : la première avec l’OCDE comme acteur central a consisté à améliorer l’échange d’informations entre administrations fiscales ; la seconde, dans la mouvance du GAFI a consisté à intégrer la politique de lutte contre l’évasion fiscale dans la politique de lutte contre le blanchiment et le terrorisme. Cette seconde voie est neuve et elle devrait être développée.
L’Europe a été trop absente de ces initiatives qui se déroulent dans des institutions de la mondialisation dont chacun connaît par ailleurs les limites. Les Etats-Unis paraissent beaucoup plus cohérents, même si leurs initiatives ne doivent pas nous donner l’illusion que nous en serions les bénéficiaires ultimes. Au contraire, il est bien possible qu’elles fassent partie d’une stratégie visant à déstabiliser l’Europe mais c’est une question à part entière. Si l’Europe n’a pas été à la manœuvre c’est que l’Europe est paralysée par les concurrences fiscales qu’elle abrite en son sein.
Il faut dire d’abord un mot de l’incohérence qui existe entre les résultats des approches, pourtant d’inspiration analogue, de l’OCDE et du GAFI, et de leurs limites propres.
S’agissant de l’OCDE on sait qu’elle s’est attaquée prioritairement aux paradis fiscaux. Après avoir rempli sa liste, elle s’est employée à la vider à partir de critères essentiellement formels. Tout n’est pas dit puisque le processus d’examen par les pairs se poursuit mais il faudra veiller à ce qu’il ne débouche pas sur un enterrement du problème. Par rapport à la liste OCDE les listes GAFI, prises toutes ensemble, apparaissent fournies. Mais là aussi on n’échappe pas au sentiment d’une forme d’échec. Par exemple, le GAFI a beau stigmatiser de nombreux pays européens jugés non conformes, rien ne se passe. L’OCDE n’en tient pas compte, l’Union européenne pas davantage, ni le Conseil, ni la CJUE. Seul le Parlement européen est réellement actif.
Car il ne faut pas s’y tromper c’est au cœur même de l’ensemble européen qu’existent les paradis fiscaux parmi les plus puissants du monde. Et c’est au cœur même de l’Union européenne qu’on trouve cette concurrence fiscale dommageable qui fait le lit de l’évasion fiscale et à laquelle le combat contre l’évasion fiscale est suspendu. Nous pourrons y revenir si vous le souhaitez à propos de la question de la coopération fiscale et judiciaire en Europe ou à propos des accords dits Rubik, ou encore à propos de l’enlisement du code de conduite ou de la directive épargne.
La politique franco-française de lutte contre l’évasion fiscale porte la marque de ces enlisements. Le rapport décrit en détail les mesures adoptées et leurs limites. Je voudrais insister sur quelques éléments.
En premier lieu, il faut bien reconnaître que l’action de la France est soumise aux excès de la concurrence fiscale et au fanatisme de la CJUE. Nous sommes conduits à importer de l’évasion fiscale en adoptant des régimes fiscaux qui rompent l’équité horizontale de l’impôt et qui posent d’énormes problèmes de cohérence avec la volonté de lutter contre l’évasion fiscale. Je pense à certaines niches fiscales ou encore aux régimes de participation exemption. Je pense aussi aux effets de la jurisprudence de la CJUE sur le régime d’intégration fiscale et peut-être, demain, sur la fiscalité des liquidations d’entreprises. Je pense enfin à notre réseau conventionnel qui peut comporter quelques étrangetés sur les retenues à la source ou sur des points plus pratiques.
En second lieu, une bonne partie des mesures de durcissement des régimes fiscaux appliqués à des opérations avec les paradis fiscaux est mise en péril par les limites de la « politique de la liste » dans un contexte où la coopération internationale est caractérisée par la mollesse et l’incertitude de ce que fera le reste du Monde. D’emblée il faut signaler que rien ne peut être fait contre les pays de l’Union européenne qui trichent. Cette situation n’est pas tenable. Au moins pour la zone euro nous devons absolument mettre en place des coopérations renforcées qui nous permettent de disposer d’un cadre transparent et équitable. Ceci passe aussi par l’adoption d’une assiette commune d’imposition des entreprises et par une task force fiscale dont nous pouvons voir certains frémissements avec Eurofisc. Dans l’état actuel de la zone euro, il est inadmissible qu’on puisse nourrir le soupçon que les peuples d’Europe puissent se voir privés du fruit de leurs efforts par des conduits d’évasion des capitaux entre les pays concernés et ceux qui sont à l’autre extrémité du branchement. Mais, même envers les pays que nous nommons Etats et territoires non coopératifs (ETNC), nous voyons nos propres listes se vider et nous désamorçons ainsi les armes que nous nous étions données.
Dans ce cadre, nous devons encore regretter que l’efficacité de la nouvelle branche de lutte contre l’évasion fiscale internationale, celle liée à la lutte contre le blanchiment, manque d’efficacité. Nous sommes perplexes devant l’action des superviseurs financiers, l’AMF et l’ACP, qui nous paraît essentiellement formelle. Nous sommes inquiets que le dispositif Tracfin qui devrait avoir toute sa place, car cet organisme offre un ancrage dans la vie économique et financière telle qu’elle va au quotidien, puisse souffrir de n’être que mal approvisionné par les assujettis aux déclarations de soupçons, mal secondé par les superviseurs financiers et insuffisamment puissant. Cette dernière situation pose le problème de la concurrence entre cette branche de la politique anti-évasion et la branche plus traditionnelle qui repose sur les compétences de l’administration fiscale. Globalement la lutte anti- blanchiment, qui, du fait de la proximité de ses acteurs avec la vie économique et financière, doit avoir un rôle majeur n’a pas trouvé toute sa place et n’est pas assez complémentaire de l’action des services fiscaux. Les problèmes à résoudre sont différents, certains sont culturels, certains juridiques, certains de positionnement, certains encore de moyens…Il nous faudra vraiment mobiliser les superviseurs pour qu’ils prennent au sérieux cette mission qui paraît encore trop étrangère à leur culture.
Au sein même de la « citadelle Bercy », des problèmes de coordination peuvent exister, entre les directions du contrôle fiscal, entre la DGFIP et d’autres directions générales plus encore. La commission n’a pas senti de mobilisation convergente entre la DGFIP, les douanes, la direction générale du trésor, la DGCIS et l’Insee. Pourtant, chacune de ces directions peut apporter beaucoup à la lutte contre l’évasion fiscale.
Evidemment, la question des moyens humains, techniques, juridiques est posée au sein de la DGFIP. Ces sujets sont importants. La commission pense qu’il faut rééquilibrer les conditions de la course-poursuite entre les contribuables et les services fiscaux. Elle a noté que des moyens juridiques nouveaux avaient pu être accordés aux services fiscaux. Elle a aussi relevé que parfois ces moyens étaient trop mesurés et qu’un retour d’expérience devrait intervenir.
L’essentiel est peut être ailleurs, à savoir dans le développement d’une gouvernance fiscale plus en continue, plus préventive et plus réactive aussi. La commission, qui souhaite que le contrôle fiscal s’exerce en continu sur les dossiers à forts enjeux, pense que les schémas fiscaux commercialisés par les conseils et utilisés par les entreprises notamment devraient faire l’objet d’un dévoilement systématique saut à être inopposables à l’administration. Elle estime que celle-ci devrait pouvoir suspendre tout schéma même s’il n’est pas illégal dès lors qu’il peut avoir des incidences financières substantielles. Une procédure de validation parlementaire permettrait de vérifier le bien-fondé de ces suspensions administratives sur le modèle britannique. De même, certains choix d’organisation devraient faire l’objet d’un audit préalable, comme par exemple le recours à des commissionnaires. Les services en charge du contrôle des prix de transfert doivent voir leurs moyens renforcés étant donné les enjeux. Par ailleurs, si la « judiciarisation » de l’action administrative peut être utile dans cette politique de prévention, il faut lui donner tous ses moyens.
La gouvernance fiscale des entreprises doit elle aussi être améliorée. Une déclaration de conformité devrait être mise à la charge des organes dirigeants tandis que les organes délibérants devraient être saisis d’un rapport sur la situation et la gestion fiscale des entreprises. Les institutions représentatives du personnel devraient être en mesure d’apprécier cet aspect important de la vie des entreprises. La clarté des documents comptables doit être améliorée et des comptabilités par pays doivent être produites par les plus grandes entreprises. Le parlement français doit renforcer son habitude de dialogue avec les entreprises, notamment pour apprécier l’effet des lois fiscales qu’il vote et les entreprises doivent accepter ce dialogue.
J’ai parlé de la judiciarisation de l’action des services fiscaux, je dois parler aussi des conditions particulières dans lesquelles intervient la pénalisation de la fraude et de l’évasion fiscale. Si les services fiscaux se judiciarisent, les tribunaux se spécialisent tant bien que mal. Mais, nous avons pu être frappés de ce que les condamnations pour fraude fiscale épargnent les grandes entreprises. Nous avons aussi pu nous interroger sur le double-verrou qui existe en la matière : celui du ministre du budget et celui du Parquet. Tout ceci pose un problème de transparence qu’il faudra bien régler même si l’on note que les tribunaux judiciaires passent désormais par le trou de souris qu’offre la répression du blanchiment. Par ailleurs, l’efficacité de l’entraide judiciaire internationale paraît des plus faibles en matière fiscale tandis que nous devons résoudre le délicat problème de la loyauté des preuves. Nous demandons plus de clarté dans la politique pénale contre la délinquance fiscale et que conseil supérieur de la magistrature puisse consacrer une étude aux questions difficiles posées dans notre rapport.
J’ai parlé de la transparence de l’action pénale. Les suites de l’affaire de la liste HSBC sont quelque peu surprenantes. On a dit qu’il ne s’agissait pas d’amnistie. J’attends de voir quelles poursuites pénales seront entreprises. Mais cette affaire est surprenante par bien d’autres aspects sur lesquels je pourrais revenir si vous le souhaitez.
La commission d’enquête pense que les pouvoirs publics devraient être organisés pour tenir compte de la nécessité d’assurer une meilleure lisibilité de la politique contre la fraude. Cette recommandation s’étend à des problèmes de gouvernance comme le choix des superviseurs de la lutte contre le blanchiment, la nécessité de veiller à l’impeccabilité de l’Etat et du monde politique, l’identification de tout conflit d’intérêts susceptible de se retrouver dans le champ couvert par la commission, et l’extension de certaines prérogatives des magistrats financiers.
Un Haut-commissariat dont le titulaire aurait rang de ministre devrait être créé pour animer la politique de lutte contre les fraudes aux finances publiques. Le Parlement devrait prolonger la mission qu’il a confiée à notre commission d’enquête au besoin en créant un sous-comité permanent de protection des intérêts financiers publics, sous forme de délégation ou toute autre forme idoine. Les prérogatives en matière de contrôle parlementaire devraient être mieux partagées puisqu’aujourd’hui le secret fiscal n’est levé que pour quelques autorités qui peuvent appartenir aux mêmes groupes politiques.
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