Je viens d’achever la lecture de Salut au Grand Sud, le dernier livre d’Isabelle Autissier et Erik Orsenna. Ils y racontent leur expédition en Antarctique à bord du voilier ADA de janvier à mars 2006.
Ce récit est une invitation au voyage, voyage bien particulier, celui d’une vie parce que c’est à la fois une expérience absolument inoubliable qui vous marque en profondeur, mais aussi parce que beaucoup ne peuvent en suite s’en défaire et y reviennent sans cesse.
Isabelle Autissier explique ainsi ce voyage singulier : “Est-il possible de ne consacrer que quelques jours à ce qui nous semble un univers à part entière ? L’Antarctique n’est pas un caprice passager, un objet de zapping. Percevoir ses lois demande la lenteur. [...] J’avais envie d’autres regards pour enrichir le mien. Il fallait fréquenter la science, seule à même de décrypter cet étonnant réel. Mais il me semblait aussi que l’on pouvait chanter l’Antarctique, le danser, le filmer, l’écrire, le peindre, le mettre en scène. Je rêvais d’une sorte d’arche où s’encouragent des curieux en tout genre, où les arts se conjuguent à la connaissance, parce qu’un homme a besoin de ses deux pieds pour avancer et découvrir“.
J’ai ressenti le même besoin de lenteur au cours de ma mission en Antarctique. Il me fallait la durée pour me rendre compte sur place du travail des chercheurs et prendre le temps de les rencontrer.
De même, je rejoins Isabelle Autissier sur la nécessité de faire dialoguer travail scientifique et regards artistiques. Je crois qu’ils s’enrichissent mutuellement et qu’ils peuvent aider le public à comprendre certains enjeux ou tout simplement donner envie d’approfondir.
Erik Orsenna donne d’ailleurs une large part à la vie des chercheurs. Si chacune des bases visitées est le reflet de son pays, elles sont toutes le reflet de la passion des chercheurs pour la science quelles que soient les conditions de vie parfois très difficiles. Ils sont d’une certaine manière les “héros” de l’Antarctique.
Il s’arrête notamment sur le travail de Fabrice Le Bouard, ornithologue en relation avec le laboratoire de Chizé qui voyageait à bord de l’ADA et qui effectuait tous les jours le comptage des oiseaux rencontrés. Erik Orsenna écrit “Si d’aventure cet ouvrage tombe sous les yeux des employeurs de Fabrice, nous leur disons notre admiration…”(p.78 et suivantes).
Les auteurs sont aussi critiques. Toutes les bases n’ont peut-être pas une vocation scientifique évidente. L’Antarctique c’est politique, il faut y être, il faut en être (p.132). En outre, les revendications territoriales ne sont pas éteintes même si leur revendication est gelée. Le Chili considère la péninsule comme son territoire et il en est de même de l’Argentine qui y entretient une base village avec “femmes, enfants, école…”
Ils auraient pu se poser la question de l’Europe là dedans. Que fait l’Europe ? Quelle coopération entre pays ? Comment faire progresser la coopération scientifique ? Mais c’est vrai ce n’est pas un livre politique.
Isabelle Autissier et Erik Orsenna parlent aussi du tourisme et des bateaux de croisières qui déversent des milliers de passagers sur quelques sites de la péninsule (p.178). Est-ce une bonne chose ? Leur témoignage mélange humour, optimisme et un peu de gérontophobie élitiste. On peut avoir 65 ans ou plus et avoir le droit de faire du tourisme…
Ils reprennent le témoignage d’un des voyagistes : ” Le tourisme est la chance de l’Antarctique. [...] Plus de gens connaîtront l’Antarctique et plus l’Antarctique aura de défenseurs” J’ai le sentiment que ce n’est pas si évident. Certes ces touristes sont bien pris en charge (pédiluves et combinaisons spéciales pour éviter les contaminations, parcours balisés et respect des distances par rapport à la faune…). Erik Orsenna et Isabelle Autissier le laissent d’ailleurs entendre le paquebot est suivi par un autre et ainsi de suite. L’Antarctique est fragile. Le nombre des visiteurs peut-il augmenter sans limite au risque de détruire ou de dénaturer ? Comment le protéger sans l’interdire ?
Là aussi en tant qu’homme politique, je me dois d’ouvrir le débat. L’Antarctique n’est pas la propriété de quelques uns scientifiques ou privilégiés, il appartient à tous. L’époque de l’Antarctique inaccessible s’achève. Nous devons réfléchir à nos comportements et à un tourisme durable et responsable.
Reste de ce livre une profonde émotion, la rencontre inoubliable avec ce continent, l’impression d’y avoir laissé quelque chose de soi et l’irrésistible envie d’y retourner.
Comme eux, je laisse le mot de la fin à Jean-Baptiste Charcot : ” D’où vient cette étrange attirance, si puissante, si tenace pour ces régions polaires qu’après en être revenu on oublie toutes les fatigues physiques et morales pour ne songer qu’à retourner vers elle ? “.
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