Dans un entretien avec Stéphane Foucard pour le journal Le Monde daté des 1er et 2 octobre et intitulé “La tentation de refroidir la planète“, le climatologue Edouard Bard répond notamment au prix Nobel Paul Crutzen, dont j’avais évoqué les propositions dans un précédent billet.
Edouard Bard estime “sérieuses” les différentes propositions émises. Il reconnaît que ces thèmes de recherche sont longtemps restés tabou dans la communauté scientifique car celle-ci craignait d’envoyer un message de facilité aux décideurs publics. “Ces dispositifs de géo-ingénierie ne doivent être qu’un tout dernier recours, en cas d’aggravation brutale et imprévue de la situation climatique“.
Si aujourd’hui, Edouard Bard évoque ouvertement ces solutions, c’est en raison d’un constat extrêmement pessimiste, à la fois sur l’évolution du climat et sur la capacité des hommes politiques à prendre des décisions. “Les industriels et les politiques ont les cartes en main. Si le Nord ne change pas d’attitude au sujet du climat, je crains effectivement qu’il y ait de grandes chances, d’ici quelques décennies, qu’on en vienne à de telles extrémités“.C’est donc bien en définitive pour faire face à cette situation qu’il estime désormais nécessaire d’évaluer les risques et les incertitudes des solutions évoquées pour ne pas faire croire qu’il s’agit de solutions miraculeuses.
Il revient ensuite sur deux propositions principales que j’avais évoquées :
- la solution de Paul Crutzen, c’est-à-dire l’envoi d’aérosols dans la haute atmosphère ;
- la fertilisation des océans en fer pour stimuler le phytoplancton.
L’idée de disperser des aérosols (du dioxyde de soufre se transformant en sulfate) dans la haute atmosphère repose sur les exemples des grandes éruptions volcaniques (El Chichon 1982 et Pinatubo 1991) qui ont provoqué un léger (0,5 °C) refroidissement du climat durant un an ou deux ans en raison de l’effet écran provoqué par les particules émises. Cependant leur effet est loin d’avoir été homogène sur l’ensemble de la terre et ces effets collatéraux ne sont pas maîtrisés.
En matière de fertilisation des océans, dans laquelle plusieurs équipes françaises de recherche sont impliquées, la principale inconnue est son impact à grande échelle. Edouard Bard évoque notamment la constitution de zones de l’océan dépourvues en oxygène en raison de cette suractivité planctonique et de l’oxydation de la matière organique qui produirait ensuite du protoxyde d’azote, un gaz dont l’effet de serre est plus puissant que le CO2.
Ce qui me frappe après la lecture de ces propos, c’est le pessimisme d’Edouard Bard. A l’heure où certains pensent pertinent de contester le travail fait par les climatologues et le rôle de l’homme dans le changement climatique, les chercheurs sont de plus en plus contraints d’envisager des solutions extrêmes pour faire face à des évolutions brutales et imprévues liées à l’absence de réaction suffisamment efficace des pouvoirs publics au niveau mondial.
Comme le dit Edouard Bard, les conclusions scientifiques sont aujourd’hui suffisamment claires pour qu’il soit possible de prendre des décisions, et ce sans attendre l’absolue certitude qui, elle, n’est jamais vraiment scientifique.
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