J’étais reçu lundi au Lamont-Doherty Earth Observatory. Ce laboratoire est mondialement connu pour ses travaux sur le climat et ses recherches menés aux pôles.
Fondation privée largement soutenu par des fonds gouvernementaux provenant de la National Science Foundation (NSF), le LDEO couvre un large spectre de disciplines cherchant à comprendre le système terrestre.
Il possède la collection de carottes sous-marines la plus importante du monde. Plus de 120 km de carottes sont conservés au laboratoire dans une bibliothèque très particulière. Je dois dire que c’est impressionnant et émouvant de visiter ce fond où est conservé l’histoire climatique de la terre. Il reste encore largement inexploité, 50 % environ des carottes qui ont été collectées n’ont jamais fait l’objet d’études. Cela s’explique par le fait que le fondateur du laboratoire dans les années 1940 et 1950, le Dr Maurice Ewing, avait exigé de ses bateaux océanographiques qu’ils prennent une carotte par jour quel que soit le lieu ou leur activité. C’est ainsi que cette collection unique s’est constituée. A l’époque, on savait très peu de chose sur la manière dont on pourrait les analyser et en tirer des informations. C’était vraiment un visionnaire !
L’essentiel de mes entretiens a naturellement porté sur la recherche polaire. Plusieurs des exposés ont provoqué un réel émerveillement scientifique.
Le Dr Pierre Biscaye travaille depuis de nombreuses années sur les poussières incluses dans les glaces. Que peuvent-elles nous apprendre sur les climats du passé, sur les vents et la circulation atmosphérique ?
On sait que toutes les particules qui se trouvent dans la glace ont été transportées par le vent et que leur nombre est plus important durant les périodes glaciaires. Les grands pourvoyeurs sont les déserts, mais comment identifier les terrains sources ? Il est possible pour répondre à cette question de travailler sur la minéralogie des argiles ou sur des isotopes naturels qui permettent d’identifier précisément la nature des poussières. La grande difficulté est de disposer de suffisamment de poussière pour pouvoir effectuer une analyse.
En Antarctique c’est extrêmement difficile puisque le volume de poussière dans chaque tranche de carotte est très faible. Au Groenland, c’est plus aisé car il est possible de travailler sur des couches de neige plus large, au moins sur les périodes récentes.
Le Dr Pierre Biscaye a ainsi pu montrer qu’en Antarctique seul les déserts d’Amérique du Sud apportaient des éléments, aucun ne vient par exemple du Sahara. De même au Groenland, la provenance est le désert de Gobi et la Chine et ce en fonction de la variation saisonnière.
Dans ce domaine de l’analyse des poussières, l’exposé du Dr Gisella Winckler n’était pas moins extraordinaire. Ses travaux portent sur les poussières venus du cosmos. 100 t par jour tombent sur terre. Leur chute est constante quelle que soit l’époque. Il est donc possible de les utiliser comme élément de datation des glaces anciennes puisqu’elles sont « facilement » identifiables par un isotope particulier le l’hélium : l’hélium 3 (3He).
Elle espère également dans l’avenir pouvoir utiliser cet outil pour analyser les fonds marins. En effet, au cours des événements de Heinrich au cours des 60.000 dernières années, les calottes glaciaires du Nord ont relâché massivement à six reprises des quantités très importantes de glace. Cela a pu être démontré par les roches trouvées dans les océans venant par exemple du bouclier canadien. Cependant, on ne connaît pas aujourd’hui les quantités d’eau douce rejetées dans l’Atlantique Nord et ayant conduit à des refroidissements du climat par arrêt ou ralentissement du Golf Stream. L’analyse du surcroît d’3He dans les sédiments par rapport à la normale devrait permettre de savoir combien de glace a été rejeté.
Voilà deux exemples extrêmement frappant des recherches conduites et de leur importance pour comprendre les mécanismes du passé et donc mieux comprendre les évolutions récentes alors que de plus en plus nombreux sont ceux qui estiment que l’on pourrait assister à une fonte rapide du Groenland ou de la péninsule Antarctique de l’ouest.
Commentaires
Le LDEO est certainement un laboratoire incontournable et remarquable à plus d’un titre pour ses recherches en géosciences.
Simplement pour préciser le contexte, la démonstration que les poussières antarctiques provenaient d’Amérique du Sud durant la dernière glaciation a été apportée pour la première fois par Francis Grousset, chercheur au laboratoire EPOC de Bordeaux, en collaboration notamment avec le LGGE de Grenoble. Ce travail s’appuyait également sur les collaborations établies avec Pierre Biscaye du LDEO, Francis Grousset y ayant longuement séjourné.
Depuis, ces travaux ont largement progressé en prenant en compte la variabilité de la taille des poussières atteignant l’Antarctique. Des travaux conduits par Barbara Delmonte, en co-tutelle entre l’Université italienne de Milan et le LGGE, ont ainsi permis de mettre en évidence des changements importants de la circulation atmosphérique au-dessus de l’Antarctique au cours du temps, dont l’origine reste à élucider.
En tout cas c’est une preuve encore, s’il était nécessaire, que la recherche polaire est conduite largement dans un contexte international, contexte dans lequel les laboratoires français n’ont jusqu’ici pas trop à rougir.