Je viens de terminer une mission en Norvège à l’Institut polaire (NPI), au Conseil national de la recherche (équivalent de l’ANR pour la France) et au ministère de la justice et de la police (Justice, intérieur et outre-mer réunis en France) qui coordonne la politique polaire.
(Photo – F.Delbart-IPEV- Ny Alesund au Svalbard)
L’Institut polaire est localisé à Tromso (Nord du pays au-delà du cercle polaire) depuis 1998, avant il était à Oslo. Cette “déconcentration” pour reprendre une expression administrative française est très logique puisque l’Institut est désormais en zone polaire et au plus près de sa zone d’action principale : le Svalbard. Cette localisation à Tromso a été l’occasion de pousser les différentes instituions concernées par le polaire à travailler ensemble dans un unique bâtiment : le centre polaire. Le bâtiment est beau, clair, fonctionnel, donnant sur le port de Tromso ; un superbe cadre de travail ! Celui-ci va d’ailleurs encore s’agrandir pour accroître l’effet interministériel et inter-agences de la collaboration. C’est une démarche très intéressante et cohérente avec le fait qu’en Norvège, la politique polaire relève d’un comité interministériel réunissant neuf départements sous la présidence du ministère de la justice et de l’intérieur.
J’ai également été intéressé d’apprendre que l’Institut polaire dépendait principalement du ministère de l’environnement et non du ministère de la recherche. De ce fait, il a notamment dans ces compétences la protection et la gestion des réserves naturelles du Svalbard. Il est plus classiquement en charge de la logistique polaire mais toutefois sans exclusive. L’originalité est qu’il peut l’assurer aussi bien au profit des équipes norvégiennes que des équipes étrangères présentes sur le Svalbard sauf si elles préfèrent assurer leur propre logistique. A la différence de l’IPEV, son homologue norvégien a ses propres chercheurs mais il reste distinct de l’université même s’il travaille étroitement avec elle, de nombreux chercheurs y donnant des enseignements. Autre point très important, l’Institut a particulièrement la mission de récolter, conserver et exploiter toutes les séries de données à long terme sur l’environnement qui permettront ensuite de produire des résultats comme dans plusieurs laboratoires français.
Sur ce dernier point, Kim Holmen, directeur scientifique du NPI, a formulé la proposition d’un indice bibliométrique international de citation des données utilisées. En effet, actuellement aucun chercheur n’a intérêt à mettre à la disposition des autres ses données. Au contraire, il a intérêt à les conserver pour ses propres publications. Dès lors, il est très difficile de progresser dans la constitution de bases de données ouvertes. Il faut donc trouver une solution permettant à scientifique d’être reconnu non seulement pour ses publications (système bibliométrique actuelle) mais aussi pour sa production de données. L’idée m’a paru intéressante, je serais heureux de connaître les réactions des scientifiques.
En matière subantarctique, la Norvège est peu active. Elle dispose de deux îles : Pierre Ier et Bouvet mais elles sont très difficiles d’accès et le climat y est très rude. Très englacées, elles n’offrent pas du tout les mêmes possibilités que les îles françaises. Les Norvégiens se rendent très exceptionnellement sur Pierre Ier et plus régulièrement sur Bouvet, normalement une année sur deux. Des “cabanes”, plus qu’une station, y étaient installées mais elles ont été emportées par un éboulement ce qui complique grandement les opérations. Les Norvégiens souhaitent rétablir cette station mais butent sur les difficultés logistiques. Au cours de l’année polaire, ils ont toutefois pu participer au programme circum-antarctique sur les éléphants de mer. L’île est aussi intéressante pour des études sur le Krill ou sur la plateforme de banquise de Fimbulissen qui est dans le prolongement de la station norvégienne en Antarctique (Troll). La Norvège est le principal pêcheur de krill et on en trouve effectivement en vente à l’aéroport sous forme de gélule d’Oméga 3 antarctique ou de produits de beauté. Les chercheurs ne paraissent pas travailler en partenariat avec l’industrie sur ce sujet sensible.
Le point principal de ma visite a été de comprendre la stratégie norvégienne pour le Svalbard. Cet archipel avait autrefois une activité minière (charbon), activité elle-même soutenue par le conflit est-ouest, le Svalbard occupant une position stratégique. Cette activité, qui persiste encore, est en forte décroissance. S’est donc posée la question de la reconversion. Les Norvégiens ont habilement saisi l’opportunité du développement de l’intérêt pour les régions polaires aussi bien d’un point vue touristique que scientifique. La recherche se développe tout particulièrement au Svalbard car c’est le seul point de l’Arctique, où, du fait du Traité de Paris qui permet aux signataires d’y accéder, il est possible de construire une station scientifique librement (tout en respectant la législation norvégienne).
S’est donc développé le village scientifique de Ny Ålesund qui est soutenu logistiquement parlant par une société (à capitaux publics), la King’s Bay Cie. Celle-ci, moyennant redevance, fournit de nombreux services aux stations de plus d’une dizaine de pays et organise la base scientifique comme une sorte de lotissement.
Sur Longyearbyen, la Norvège développe plusieurs installations de recherche dont, notamment, une université spécialisée dans les questions polaires, l’UNIS.
Cette multiplication des installations internationales au Svalbard pose toutefois la question de leur cohérence et de leur coordination, selon le mot de Kim Holmen, il faut “open door with good science”. La Norvège s’y emploie d’une part en finançant un forum biannuel d’échange (Svalbard science forum) et surtout en lançant une importante initiative : le SIEOS.
SIEOS pour « Svalbard integrated arctic earth observing system » doit être le rassemblement des pays européens dans le cadre d’un programme plus large d’observation de l’Arctique : SAON (Sustaining arctic observing network). L’objectif est de mettre en place des plateformes internationales d’observation dans les différents domaines et une plateforme d’intégration et de conservation des données. La Norvège y a investi des sommes importantes. 500.000 € dans le pré-projet (2008-2009) et de nouveau 500.000 € pour la phase préparatoire (2010-2013) en complément des 4 millions € débloqués par la Commission européenne dans le cadre du 7e programme de recherche et des grandes infrastructures européennes. Par ailleurs, la Norvège s’est engagée en tant que pays hôte à prendre en charge 25 à 30 % des coûts d’investissement et de fonctionnement futurs.
Cette stratégie d’ouverture internationale, de plateforme intégrée et de reconnaissance européenne soutenue par une logistique pour partie privatisée me semble extrêmement intéressante. Pourrait-on imaginer s’en inspirer pour les territoires français ?
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