On trouve à Amsterdam, un arbuste, le phylica arborea. Peu de chose apparemment et pourtant une belle et grande histoire. Une joie aussi, celle d’une espèce qui renaît et celle d’Yves Frenot ou de Cédric Marteau qui, m’accueillant au bois de phylicas, me communiquent leur bonheur intense de voir le biotope de l’île reprendre vie.
Le phylica est un bois précieux, non qu’il égale l’acajou du Brésil pour la marqueterie ou le bois de fer pour la construction, mais tout simplement parce qu’il ne vit que là, à Amsterdam. C’est le seul arbre à s’être naturellement acclimaté dans cette île, son seul père, fils, frère ou cousin, on se sait pas vraiment, se trouve à Tristan da Cunha, une île au milieu de l’Atlantique Sud. Mystère de l’évolution !
L’histoire humaine du phylica débute à la découverte de l’île d’Amsterdam par les compagnons survivants de Magellan, le 18 mars 1522. Le premier document relatif au phylica date du voyage de Van Vlaming, en 1696, qui décrit l’île ceinturée d’une forêt entre 100 et 250 mètres d’altitude. Pendant près de trois siècles, le phylica ne va pas cesser de perdre du terrain. Les navigateurs le coupent pour faire du bois, des incendies ravagent l’île et, surtout, à partir de 1870, un troupeau de bovins va commettre d’irrémédiables dégâts.
Six bovins sont implantés sur l’île par un dénommé Heurtin pour en tenter l’élevage mais il quitte l’île dès 1871, laissant les bêtes sur place. Cent ans plus tard, le troupeau à conquis la quasi totalité de l’île. Il est devenu « densité dépendant », c’est-à-dire que la dynamique de la population est corrélée aux fluctuations des ressources disponibles en eau et en fourrage. Il est en mauvais état sanitaire. Sous sa pression, la couverture de phylicas a régressé et avec lui la flore autochtone. Le sol s’est érodé et raviné.
Du phylica, il ne reste plus que le « bois de phylicas », quelques dizaines d’arbres entourés par une haie de cyprès qui les étouffe plus qu’elle ne les protège. Nous sommes alors en 1987. L’administration supérieure des TAAF, s’appuyant sur des travaux scientifiques, prend conscience du caractère précieux du phylica comme d’ailleurs de l’albatros d’Amsterdam et du danger présenté par les vaches. Une première campagne d’abattage est menée et une clôture posée pour protéger une partie de l’île. Un programme de restauration est lancé. Entre 1988 et 1994, ce sont près de 7 000 phylicas qui sont replantés dans les zones favorables après élevage en pépinière.
Le projet de restauration du phylica va être relancé par la création de la réserve naturelle des TAAF, en 2006. L’abattage de la haie de cyprès est décidé et mené à bien. Parallèlement, le troupeau, qui avait été cantonné plus strictement, vient d’être complètement éliminé. Les derniers bovins ont été tués au cours de l’été austral par une équipe de trois chasseurs rémunérés par la réserve naturelle.
C’est la situation que nous trouvons à notre arrivée. Au bois de phylica, l’émotion d’Yves Frenot et de Cédric Marteau est communicative. Le parfum des fleurs de phylica imprègne l’air : merveilleux ! La différence de flore entre le bois et l’extérieur est directement visible, même au néophyte que je suis. Le sol est différent, plus souple. Nous découvrons là de nombreuses espèces de mousses ou de fougères complètement invisibles ailleurs, c’est un peu le jardin d’Eden d’Amsterdam.
Beaucoup de travail reste à faire. Il va falloir procéder à l’abattage des eucalyptus et, pendant de nombreuses années encore, à l’arrachage des repousses de ces arbres pour éviter que ces espèces introduites ne les étouffent à nouveau. La pépinière de phylicas et les opérations de plantation vont reprendre en se fondant sur la carte des sols de l’île.
Sur la base chacun est conscient de l’enjeu et la tradition s’est installée que chaque hivernant élève son phylica qui sera replanté par la suite. On voit donc se multiplier les phylicas en pot.
Pour ma part, après avoir, au bois de phylicas, arraché quelques petits cupressus et eucalyptus, j’ai le plaisir de planter un pied de phylica au pied de la résidence du chef de district, des petits gestes symboliques pour l’avenir de l’île.
Il n’est guère imaginable, à l’horizon d’une vie humaine, qu’Amsterdam retrouve sa ceinture de phylicas, les sols étant à beaucoup d’endroits trop dégradés. Mais, avec l’aide cette fois-ci de la main de l’homme, espérons que, année après année, le phylica saura reconquérir son espace vital.
Commentaires
[...] souligné lors de mon passage à Amsterdam que l’archipel Tristan da Cunha est comme le frère jumeau des îles Amsterdam et St-Paul. [...]