Cette semaine, j’ai auditionné Serge Tisseron, sociologue, et Blandine Kriegel, auteur d’un rapport sur la violence à la télévision en 2002. A l’issue de ces entretiens, une certitude : les images ont bien un impact, positif ou négatif, sur le comportement des jeunes. Le virtuel influence indéniablement le réel. Mais comment et dans quelle mesure ? C’est quand on commence à poser ces questions que tout se complique’
S’agissant de la télévision, c’est le temps d’exposition qui a l’impact le plus clair. Des études américaines ont par exemple montré que parmi les jeunes passant moins d’une heure par jour devant la télévision, le taux d’auteurs d’actes agressifs est de 5,7 % alors que parmi ceux qui la regardent au moins trois heures, ce taux passe à 25,3%.
Mais est-ce que ce sont les images violentes qui rendent violent ?
A ce stade, je ne pose pas encore la question de l’influence de la pornographie sur la sexualité. C’est un point important et j’aurai l’occasion d’y revenir.
S’agissant de la violence, les études sont contradictoires et pour l’instant on a des difficultés à aller au-delà des cas ponctuels où un jeune violent reproduit telle scène, de son film, de son émission, ou de son jeu préféré. Et quoi de plus facile que de trouver sur Internet des images violentes, voire proprement abominables ? Tout le monde se souvient des images pourtant censurées à la télévision de soldats américains égorgés en Irak.
Je suis bien évidemment preneur de toute étude sérieuse et récente sur la question. En attendant, on applique logiquement le principe de précaution et l’on protège les jeunes avec des règles légitimes et consensuelles.
Commentaires
En attendant, on applique logiquement le principe de précaution et l’on protège les jeunes avec des règles légitimes et consensuelles.
Bonjour M. Assouline,
Ouvrir un blog et y poser de réelles questions comme vous le faites ici est une excellente initiative.
Je vais répondre en ma qualité de lecteur d’information scientifique. Ma profession (proche de celle de Serge Tisseron) ne me confère aucune compétence particulière pour répondre à votre question, je vais donc me contenter de désigner quelques ressources utiles.
Deux professeurs de psychologie cognitive, Dave et Greta Munger, ont rédigé une série de textes introductifs sur la question qui vous intéresse. Les études portent sur les jeux vidéo violents.
Voici quelques résultas intéressants :
- Une limite, tout d’abord. La plupart des données récoltées sur le sujet se basent sur des adolescents, mais traitent l’âge comme une donnée fixe ; par conséquent elles négligent les facteurs de développement (épanouissement, apprentissage) :
http://scienceblogs.com/cognitivedaily/2006/01/post.php
- Ensuite, pour répondre frontalement, il existe des données solides pour penser que le lien entre violence virtuelle et violence réelle chez l’adolescent est un lien de causalité plutôt qu’une corrélation :
http://scienceblogs.com/cognitivedaily/2007/06/this_is_your_brain_on_violent_1.php
http://scienceblogs.com/cognitivedaily/2005/03/violent_video_games_may_be_lin.php
- De plus, les jeux non coopératifs (cf. infra) à caractère violent produisent un effet de désensibilisation (1) et ne produisent pas d’effet de défoulement chez les personnes à tendance agressive (2) :
(1) http://scienceblogs.com/cognitivedaily/2008/04/violent_video_games_and_desens.php
(2) http://scienceblogs.com/cognitivedaily/2006/10/violent_video_games_increase_h.php
- Il faut considérer que tous les jeux ne sont pas équivalents : ceux qui récompensent les actions virtuelles violentes se distinguent de ceux où les joueurs doivent coopérer, même si cela implique des actions violentes contre des acteurs non-humains :
http://scienceblogs.com/cognitivedaily/2005/11/punishing_video_game_violence.php
En conclusion, les deux scientifiques résument la difficulté actuelle, c’est-à-dire que le comportement humain est extrêmement complexe et les données disponibles sont circonscrites à certaines populations (ce que l’on appelle des échantillons de complaisance – convenient sampling) :
‘Let’s face it: human behavior is astonishingly complicated; psychologists are still working on the “easy” problems like how we track motion and color. Understanding a complex social phenomenon like video games is not going to be a simple task, and making public policy based on that understanding will be even more difficult. Perhaps the best we can hope is for policy-makers’and the general public’(not to mention science writers) to understand that we’re dealing with a limited set of data, and to not put too much faith in any single study.’
http://scienceblogs.com/cognitivedaily/2005/08/more_on_video_game_violence.php
Si ces deux professeurs ont pris le temps d’assembler autant d’enquête, c’est en partie lié à leur activité de blogueurs scientifiques, mais aussi parce qu’une seule étude ne suffit pas ; en psychologie comme dans d’autres domaines, des centaines de résultats convergents sont nécessaires à l’établissement de conclusions fermes.
(C’est entre autres pour cela qu’un sociologue et une philosophe ne peuvent apporter qu’une expertise limitée : la philosophie ne réplique pas ses résultats, si le terme peut d’ailleurs y être employé, et la sociologie a également beaucoup de mal à le faire étant donné la longueur des enquêtes et la diversité des sujets traités. Je n’ai aucun grief contre l’une ou l’autre, venant moi-même des sciences sociales ; simplement, le raisonnement scientifique souligne les limites des méthodes d’enquête de chaque discipline, et pour répondre à votre question, il faut aller lire des études de psychologie cognitive, pas de la philosophie. C’est un peu abrupt dans ma formulation, mais c’est comme ça.)
ê partir des données présentées ici, vous pouvez réviser votre jugement : les études ne sont pas réellement contradictoires, il y a tout de même beaucoup de données vers le lien de causalité. En revanche, ce lien est circonscrit à une population adolescente et à certains jeux particuliers. On peut aussi imaginer que la culture nationale aura un effet intermédiaire, surtout en ce qui concerne la télévision.
Je reste à votre disposition par email si vous aviez besoin de précisions. Bon courage !
Merci FB, pour tant de renseignements si utiles. C’est exactement le type de source que je recherche. Les études citées sont nombreuses et très instructives.
J’ai rencontré récemment M. Jean-Claude Larue, directeur général du syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs et il y avait des éléments intéressants à tirer de la discussion. Je ferai rapidement un billet sur les jeux video.
A bientôt sur ce blog, j’espère.
Serge Tisseron a beaucoup de talents, mais il n’est pas sociologue. Il est médecin psychiatre et psychanalyste. Les images ont bien un impact, mais l’impact qu’elle ont dépend du terrain sur lequel elles arrivent. Pour le dire autrement : les images violentes ne rendent pas violent – ce serait faire une impasse dramatique sur la responsabilité individuelle. Et puis on expliquerait mal comment le spectateurs de films violents ou ceux qui écoutent les contes traditionnels comme Le Loup et les 7 Chevraux ne le deviennent pas.
Il ne faut pas regarder que les chiffres :-). On peut se dire que parmi les enfants qui regardent *beaucoup* la télévision, il y a une proportion importante qui sont dans le délaissement. Cela est cause de souffrance et potentiellement de passages à l’acte
Il est facile de trouver des images violentes sur internet. Mais la question est “pourquoi chercher ce type d’image ?” Pourquoi ce désir d’images violentes ?
De mon point de vue, c’est très curieux cette focalisation violence – jeux vidéos. Voila bientôt quarante ans que nous jouons avec des machines, et quarante ans que les même suspicions reviennent.
Il y a plusieurs confusions dans votre réponse, Yann.
1.
D’une part, vous laissez entendre que les images violentes sont susceptibles de servir de variables intermédiaires, c’est-à-dire qu’elles encouragent les gens violents à l’être et rien de plus, autrement dit qu’elles ne vouent pas à la violence les individus ne l’étant pas initialement.
Cette relation est tout à fait probable, elle est même démontrée par certaines des études citées plus haut. Elle ne change toutefois aucune donnée du problème, dans la mesure où l’on ne peut pas différencier des individus violents d’un côté et des individus non-violents de l’autre. La violence n’est pas une variable dichotomique, c’est une attitude qui se mesure en degrés (variables ordinales) et qui renvoie à des propensions (likelihood).
2.
D’autre part, vous vous servez d’un argument assez hasardeux qui reproduit la même erreur. Il est juste que les tout premiers jeux vidéo ont fait l’objet des mêmes études sur la violence qu’ils pouvaient susciter (cf. une nouvelle fois les études ci-dessous).
Mais encore une fois, cela ne modifie en rien les données du problème. La question “les jeux video rendent-ils violents” n’a pas de réponse dans l’absolu ; selon les jeux utilisés, on mesure des variations quasi-négligeables (dans un sens ou dans l’autre) sur l’agressivité, ou des variations significatives, presque toujours vers un comportement post-exposition agressif.
En bref, toutes les variables que vous évoquez (sentiment d’abandon, films, intentionnalité ; je passe sur les contes traditionnels’) cadrent les études citées, mais ne perturbent pas les résultats, ce sont des variables contextuelles, contrôlables par ailleurs. Le lien de causalité est intact, hors-contexte et en contexte.
Désolé pour la discussion un peu technique, il y a probablement un moyen plus simple de montrer que les deux remarques de Yann ne modifient pas la pente des résultats.
Cher Monsieur le Sénateur,
Je vous livre quelques réflexions préalables, une sorte de cadre théorique et analytique à la question de la violence.
Une question préalable quelque peu rhétorique – épistémologique : pourquoi cadrer le débat sur les médias en terme de violence ? En saisissant les motivations premières, il me semble que la législation pourra être mieux adaptée aux exigences de la volonté générale.
De manière moins théorique, cette question de la violence touche des logiques internes et externes de production des discours et une anticipation de la demande.
D’un point de vue de la production des problématiques : la question a souvent été portée sur l’espace public par les journalistes suite à des faits divers meurtrier. Incriminer un média permet de trouver une justification et évacue les problématiques politiques structurelles. La sociologie du journalisme révèle au final que ces derniers ont des difficultés à trouver des experts compétents. Par conséquent, le premier réflexe depuis une quinzaine d’année est d’avoi recours aux psychologues / psychanalystes. Une fois un expert trouvé, il y a une circulation des sources, et par conséquent une sorte de recyclage des mêmes experts. Conséquence une sur représentation d’une catégorie qui va pouvoir légitimer ses intérêts (ici définir la violence ou l’addiction).
D’ailleurs la théorie de la violence des médias vient de la psychologie des foules (Tarde, Tchakotine, Le Bon). La question du public pose problème, car en considérant le public des médias comme une somme d’individus, il apparaît qu’une approche individuelle est la plus en adéquation, or c’est une négation des problématiques sociales. Le contexte familial par exemple est un des facteurs clefs explicatifs pour la violence des plus jeunes.
On a pu observer un glissement « le média est violent » à « les médias rendent violent », ce qui est un fait, devient une idéologie. La théorie des effets dominants et indifférenciés est une construction sociale, voire même une « supercherie » menée avec brio par certains idéologues du début du siècle qui, sous verni scientifique, n’ont au final que repris les préoccupations de l’élite. Cette dernière qui, ne saisissant pas ces nouveaux médias, avaient besoin de marginaliser / diaboliser ces nouveaux objets et pratiques. En un mot, à chaque émergence se posent des questions en terme de violence, puis la diffusion de la pratique rend petit à petit l’activité, jusqu’alors marginale, maintenant légitime (BD, cinéma, roman populaire au XIXe).
D’un point de vue de théorie politique, cette problématique de la violence rejoint les fondements de l’Etat, en plus du rapport au monopole de la violence légitime (Max Weber), les médias toucheraient à l’économie psychique, voire même contribueraient à remettre en cause les modalités d’intériorisation des nomes, notamment le fait que “tu ne peux pas utiliser la violence” (Norbert Elias). Or selon les défenseurs de la théorie « les médias rendent violents » les représentations véhiculées dans les médias deviendraient performatives, saisiraient l’individu, le possèderait. Or si cela est concevable lorsque l’individu n’a qu’un seul référentiel normatif (je pense notamment aux périodes obscures où le pluralisme de l’information n’était pas encore inventé), ces théories sont obsolètes dans un contexte de concurrentialité des référentiels normatifs : chacun peut constituer un syncrétisme idéologique, il n’y a plus une parole dominante, mais plusieurs paroles performatives.
Nous pourrions même ajouter qu’avec l’idéologie de la transparence et de son corollaire l’hygiénisme (Foucault, Surveiller et Punir) impose de mettre à jour tous les mécanismes sous-jacents. Plus encore la définition du normal et du pathologique est un enjeu de contrôle social par le politique (voir Alain Ehrenberg sur les médias).
Pour saisir la genèse des discours sur la thématique de la violence des médias, je vous conseille cet ouvrage : Barrows (Susanna), Miroirs déformants, Aubier, 1990.
Vous en trouverez une note de lecture ici (persee.fr):
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_1991_num_4_14_2160?luceneQuery=((+(susanna)++(barrows))+AND+(++pole:(revue)++access_right:(free)+))+AND+(indexable_type:articlepag?)&words=susanna&words=barrows&words=r
Un numéro de la revue de sciences sociales Quaderni que je coordonne, devrait paraître en septembre sur ces problématiques liées aux jeux vidéo. Je vous conseille aussi d’auditionner quelques chercheurs sociologues / politologues des médias : Josiane Jouët (Paris 2 ‘ IFP) ou Pierre Musso (France Telecom R&D) sur ces problématiques ou Brigitte Legrignou (Dauphine – IRISE).
Pour récapituler, quelques pistes méthodologiques pour embrasser ce problème d’une manière large :
- saisir la place du média dans la théorie politique
- s’intéresser aux problématiques sociales : contexte familial, scolaire, etc.
- analyser l’offre médiatique, en considérant la pluralité des sources et des pratiques
- regarder du côté de la sociologie de la réception qui nuance fortement la théorie des effets dominants
- comprendre le jeu des acteurs / experts : quel intérêt ont-ils à soutenir leur théorie (es-ce que ça va créer une demande et permettre leur autonomisation dans le champ)
Cela permettra peut être d’éviter un énième rapport sur la violence des médias, de reproduire les mêmes grilles d’analyse ;) et au final de tourner en rond ! Voilà à quoi peut servir notre recherche publique académique !
Bien à vous,
O. M.
Bonjour,
Vaste sujet…
Il existe des milliers d’études scientifiques qui montrent qu’il y a un lien entre la consommation d’images violentes et les comportements agressifs. Les représentations médiatiques ont un effet indiscutable sur chacun de nous, sur les adultes et plus encore sur les enfants et les jeunes. L’exposition aux images violentes et pronographiques peut avoir des conséquences désastreuses sur le développement de la personnalité.
Face à cette “maltraitance audiovisuelle”, il convient d’affirmer en premier lieu la responsabilité de l’industrie des médias qui, comme toutes les industies, montre peu d’empressement à se remettre en cause. “Peut-on accepter les arguments qui ressemblent finalement à celui de la National Riffle Association (NRA) aux Etats-Unis qui dit que ce ne sont pas les armes qui tuent mais les gens qui pressent la détente ?”.
Face à cette irresponsabilité, les pouvoirs publics doivent intervenir pour faire respecter les droits des personnes, la protection de l’enfance et les contraintes éducatives, par une réglementation des divers supports : cinéma, vidéo, télévision, jeux vidéo, presse, radio, internet… Il est également utile de sensibiliser les parents aux effets nocifs de certaines images et de les encourager à se préoccuper de ce que regardent leurs enfants, à en parler avec eux.
Mais il est vrai que c’est plus facile à dire qu’à mettre en application.
Bien à vous.