Christophe Dejours est titulaire de la chaire psychanalyse-santé-travail au Conservatoire national des arts et métiers. Il étudie la relation entre travail et santé mentale, qui dépend beaucoup, selon lui, de l’organisation du travail, c’est-à-dire de la division technique des tâches et des rapports hiérarchiques dans l’entreprise. Il estime que les problèmes de santé mentale induits par le travail se sont aggravés ces dernières années en raison du développement de l’évaluation individualisée des salariés, de la recherche de la « qualité totale » et de la sous-traitance en cascade. N’hésitez pas à consulter le compte-rendu de son audition et à nous indiquer si votre expérience professionnelle corrobore les analyses du professeur Dejours.
Les réflexions du professeur Christophe Dejours sur l’impact du travail sur la santé mentale
Mercredi, 3 février 2010
Commentaires
Pour avoir travaillé sur l’introduction de nouveaux outils et méthodes d’organisation et de contrôle, dans des contextes de mutualisation ou de fusion, j’adhère totalement aux propos de Monsieur DEJOURS : mettre en place une nouvelle organisation du travail peut-être l’occasion d’écouter les acteurs dans leurs attentes, leurs besoins. Ils sont les meilleurs experts, et les entendre leur rend justice, quel que soit leur niveau hiérarchique dans l’entreprise. Une fois rassurés, une proportion suffisante d’entre eux devient acteur de ses conditions de travail (dans le sens organisationnel) et ne subit que des contraintes autour desquelles il a pu échanger et qu’il comprend mieux. Cette nouvelle posture lève de petites souffrances qui, cristallisées et empilées, auraient pu devenir des pathologies plus graves. Je les ai souvent rencontrées, parfois irréversibles.
Les freins les plus importants rencontrés sont la peur des agents d’un nouveau changement qu’ils ne comprendront pas plus que les précédents (ce frein est aisément levé), et aussi parfois le souhait des directions de ne pas risquer la remise en question de réelles anomalies d’organisation ou de management (le pré carré).
J’ai travaillé dans des entreprises privées et dans des organismes parapublics où les méthodes de management et les enjeux sont différents : dans les deux cas, on peut motiver (sur le fond) et donner plus de sens au travail, par l’implication de plus d’acteurs dans l’organisation du travail. Ce point de vue est parfois mal accepté par les cadres intermédiaires et supérieurs, car il suppose la possibilité de mise en cause de leurs compétences managériales. Il donne d’excellents résultats, pas seulement pour les agents eux-même : le climat du travail s’en trouve amélioré dans l’entreprise, et les objectifs de rationalisation et de productivité sont atteints avec moins de souffrance individuelle.
très bien ce blog! bien illustré (vidéo photos…) bien commenté!! bravo
Mon dernier article:
Ne faites pas monter les personnels hospitaliers à l’échafaud !
« Travailler à en mourir » ; Quand le monde de l’entreprise mène au suicide » ». (en italique les extraits du livre)
C’est un livre de Paul Moreira et Hubert Prolongeau. Un livre qui décrit le monde de l’entreprise et du management ! Le petit monde des directeurs des ressources humaines pour qui, « la souffrance est un dommage collatéral et les suicides une petite compagnie prise dans une embuscade
Là, le salarié est devenu source de profit ou d’économie ; une variable d’ajustement lissant toutes les crises.
Là, le stress est un carburant qui alimente la machine à broyer les hommes.
Mais comment peut-on travailler à en mourir ?
Même si ce n’est pas son objet, la lecture de cet ouvrage établit que le totalitarisme (1) est bien actuel. Elle apporte des éclairages saisissants pour ceux qui, comme moi, travaillent à l’hôpital et pensaient que l’organisation du travail autour d’un malade méritait quelques concessions. Il ne s’agit plus de cela. Tout s’organise pour faire de ce malade une pièce mécanique aussi froide que l’acier. Soyez inquiets !
C’est un long processus qui naît lorsque les exigences de l’entreprise entrent en contradiction profonde avec l’idée que vous vous faites de vous-même et du monde. Il s’agit d’un conflit d’éthique Un conflit souvent très violent qui peut provoquer de graves symptômes sur le salarié « les mêmes que les soldats exposés au combat », précise un psychiatre.
Le temps passé à appréhender les tâches demandées est de plus en plus important, dévore le reste. L’envie d’y arriver devient obsessionnelle. Les objectifs étant souvent inatténiables,(sic) la culpabilité devient trop forte. »
C’est ainsi que l’aide-soignante ou l’infirmière doivent trop souvent choisir entre la toilette et le soin. Pour se défaire de cette pression insupportable elles détournent leur regard. Les yeux des patients sont encore trop expressifs.
Les auteurs précisent que les suicides dont on parle dans la presse ne sont que la partie apparente d’une épidémie invisible. L’arrivée des jeunes ripolinés, formatés des grandes écoles « avec leur arrogance, leur tête bien faite, sûrs d’eux-mêmes et de leur compétence » n’a fait qu’accélérer le processus.
A l’hôpital, un endroit que je connais bien, le gouvernement vient d’offrir ce nouveau statut aux directeurs. Il ouvre effectivement la possibilité de diriger ce service public aux « jeunes ripolinés des grandes écoles » qui n’ont aucun état d’âme pour atteindre les objectifs fixés, dussent-ils broyer les hommes. Pour les autres, ces anciens, ces hommes d’expériences, qui ne remplissent pas le contrat, (directeurs et médecins) ils seront renvoyés chez eux, en recherche d’affectation, au rang des inutiles !
Plus loin : « L’avantage du système est sa gouvernabilité : on élimine l’aspect humain. Le système tout entier met la pression. Et on arrive à ce paradoxe absurde que celui qui s’en sort le mieux est celui qui s’en fout. »
A l’hôpital la nouvelle gouvernance est en place. Les nouveaux outils de gestion vont bientôt tourner à plein régime :
« Les deux plus efficaces sont l’objectif et l’évaluation. Binôme ravageur qui, tout en prétendant faire appel à l’autonomie et à la responsabilité, se révèle lamineurs d’homme »
Pour le moment les directeurs sont seuls sous le regard du bourreau ; un certain Directeur d’Agence Régionale de Santé qui lui-même est placé sous le couperet de la guillotine gouvernementale. Ils n’auront d’autres solutions que de déporter sur les personnels les outils qui les menacent !
Le contrat d’objectif :
« L’obsession de la performance amène de plus en plus à une déconnexion grave des consignes et du travail réel. On propose des objectifs impossibles à atteindre, en laissant au salarié le soin d’assumer un échec pourtant inévitable. Il n’y a plus de notion du travail collectif. On divise le travail en case, et quant quelque chose ne marche pas, on regarde dans la case »
L’Hôpital embrasse ces méthodes et s’organise en pôle d’activité. Ce sont des cases gérées par d’autres managers qui percevront une prime pour cela !
L’évaluation :
«Elle en est fait souvent une sorte de conseil de discipline restreint où sont évalués essentiellement le résultat et le rapport à l’objectif. L’homme y est mis à plat. L’entretien d’évaluation est devenu une arme »
Objectifs inatteignables, évaluation culpabilisante : la machine à broyer est en place.
Elle est en rodage à l’hôpital. Ce que le directeur subit sera imposé à tous les autres.
Pour l’instant, à l’hôpital, l’évaluation n’est applicable que pour les directeurs. Elle conditionne leur salaire, leur carrière, en fonction des objectifs fixés. Pour eux, la machine à broyer est en place : ils exécuteront ou ils seront exécutés ! Mais cela ne suffit pas. Ils doivent se donner les moyens d’asseoir leur nouveau pouvoir. C’est ainsi que la dernière Loi sur l’hôpital (dite loi HPST) leur permet de définir eux-mêmes les modalités d’une politique d’intéressement pour les personnels et « la mise au placard » les médecins récalcitrants. (Article L6143-7 du code de la santé publique)
C’est maintenant officiel. Après avoir accepté au cours d’un Conseil Supérieur de la Fonction publique hospitalière, de retirer l’évaluation des personnels contractuels, le Gouvernement l’a imposé dans le nouveau décret.
Aujourd’hui, le ministère de la santé propose au Conseil supérieur, un décret et un arrêté pour organiser l’entretien d’évaluation des personnels qui déterminera la valeur professionnelle des agents.
Dans le projet d’arrêté, le rappel des objectifs, les résultats obtenus (indicateurs) et l’analyse des écarts sont le trièdre de l’évaluation !
Ils veulent bâtir une armée d’esclaves où la devise sera celle qui leur est imposée : combattre ou mourir ! La victime du jour devient le bourreau du lendemain.
Enfin, le vocable de « ressources humaines » place l’homme au rang des matières premières à usiner. Il est, selon la posture de l’oppresseur, la chair à canon du capitalisme financier ou le serf du pouvoir en place.
« Faut-il être fier d’avoir su se construire ces carapaces-là ? Il est urgent de redécouvrir le sens du mot « travail » conclut cet excellent ouvrage d’enquête qui s’appuie sur le métal des faits.
Si l’on ajoute à cela la lecture du dernier rapport sur le « Bien être et l’efficacité au travail » (2) le Gouvernement ne commet pas une erreur, il organise un crime !
Denis GARNIER
(représentant de la fédération FO-Santé, membre titulaire de la Commission Hygiène, Sécurité et Condition de Travail du Conseil Supérieur de la Fonction Publique Hospitalière, Membre titulaire du Comité Technique National H des maladies professionnelles et accidents du travail auprès de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie représentant la Confédération Force Ouvrière)
(1) TOTALITARISME par wikipédia : L’expression vient du fait qu’il ne s’agit pas seulement de contrôler l’activité des hommes, comme le ferait une dictature classique : un régime totalitaire tente de s’immiscer jusque dans la sphère intime de la pensée, en imposant à tous les citoyens l’adhésion à une idéologie obligatoire, hors de laquelle ils sont considérés comme ennemis de la communauté.
(2) RAPPORT « BIEN-ETRE ET EFFICACITE AU TRAVAIL » : février 2010 :
• http://www.stress-info.org/wp-content/uploads/2010/02/rapport_bien-etre_et_efficacite_au_travail.pdf
Il n’y a pas que dans les “grandes entreprises”.. le mal être au travail est partout… c’est une pandémie car les salariés, agents de la fonction publique, touchés sont de plus en plus nombreux. Même dans des petites collectivités de deux ou trois agents, le mal être existe. Il détruit tout par sa présence dans le travail jusqu’à l’environnement affectif de l’agent, car un agent en dépression est aussi un père de famille, un mari, un ami…. Dans la fonction publique territoriale, c’est au quotidien, non pas auprès de “managers surclassés” mais auprès d’hommes et de femmes démocratiquement élus par les citoyens, que des milliers d’agents territoriaux souffrent… Le premier conseil est d’informer l’agent de consulter la médecine professionnelle, de saisir les CHS de l’entreprise ou de la collectivité , car on peut aider amicalement, syndicalement, juridiquement, mais on n’est ni des médecins ni des psy, et cette notion n’est pas à prendre à la légère… et bien sûr consulter son médecin référent…L’arrêt maladie est bien souvent la seule alternative pour ne pas sombrer, pour “faire la coupure momentanée entre le salarié et l’entreprise” et ne pas en arriver au suicide, car on peut se suicider de mille manières, le suicide psychologique en est un aussi car il prive l’humain de sa faculté à “vivre” !
j’aide au quotidien des collègues dans ma tâche de syndicaliste, et étant sur “le terrain” car fonctionnaire, je peux les comprendre, d’autant pour avoir vécu la même chose et dont le seul échappatoire a été la longue maladie ! ne jamais laisser les collègues s’isoler, l’important c’est qu’ils se sentent soutenus par les autres salariés ! mais bien souvent, ils ont peur que la contagion les touche à leur tour et certains se trouvent mis en “quarantaine” . Dans l’entreprise, la collectivité, quelque soit l’emploi et l’employeur, le maître mot reste : la solidarité ! dans l’engrenage d’une roue, chacun peut être happé ! merci à celles et ceux qui sont dans l’action auprès de leurs collègues. Il y a beaucoup de travail à faire dans le mal être au travail, le plus important reste “la reconnaissance de ce mal” par le “juridique” au même titre que le harcèlement moral (qui s’apparente souvent au mal être) ou le harcèlement sexuel… Il faudrait légiférer sur un tel problème car il tient une place importante dans la vie des salariés et dans l’économie toute entière ! et il perdurera tant que ceux qui sont à la “source” du mal être au travail, se sentiront protégés par le pouvoir de leur grade ou de leur mandat. Car poursuivre pour du harcèlement est un parcours au bout duquel, il y a peu souvent de résultat juridique , mais beaucoup de dégâts psychologiques pour le salarié.
j’apprécie que ce soit par le biais d’un tel blog que l’on puisse discuter d’un problème aussi douloureux que “commun
Bonjour,
Dans le compte-rendu de l’audition, il est cité “M. Christophe Dejours a considéré que la personnalité du manager joue un rôle important, mais qu’elle n’est pas essentielle. L’organisation du travail résulte avant tout des règles de management choisies par l’équipe dirigeante, autrement dit d’une doctrine.”
Ce n’est qu’un extrait sans doute sorti du contexte global de l’échange mais il semble important de noter que la personnalité du manager joue un rôle essentiel, au delà de la notion de culture de l’entreprise ou des règles données par la direction générale d’une organisation.
Les pratiques managériales restent souvent ancrées dans des modes de fonctionnement et des représentations passéistes, étroitement liées à la personnalité du manager qui ne travaille pas son métier en tant que fédérateur du capital humain. Le management et notamment les formations devraient obligatoirement intégrer les notions de risques et de composantes psychosociales.
Pour ce qui est des méthodes d’évaluation des performances, il est dit dans le compte-rendu : “Mme Annie Jarraud-Vergnolle a déclaré avoir été confrontée, au cours de sa carrière dans le secteur médico-social, aux nouvelles méthodes d’évaluation des performances individuelles comme les grilles d’observation des compétences.”
Les mots sont intéressants car réellement représentatifs de ce qui ne devrait pas être. Il est en effet parfois fait usage de grilles d’observation, pour observer quoi… les compétences.
Ces grilles, qui sont la plupart du temps mal élaborées, n’observant rien de réellement concret ou n’étant pas adaptées à une réelle utilisation à posteriori afin de faire progresser les salariés, devraient s’attacher à observer les aptitudes et les motivations des personnels, au dela des seules compétences.
De la même manière les usages actuels des entretiens de progrès ou d’évaluation dans l’entreprise ne sont pas encore assez fréquents ou mal employés.
Bien à vous,
P. Ayrault
Consultant en management stratégique et gestion de crise
Mon expérience professionnelle corrobore tout à fait les analyses du professeur Dejours. Un autre point important est l’aspect économique : quand les entreprises font des bénéfices en utilisant de telles formes de pression sur leur salariés, au final ces bénéfices profitent aux actionnaires.
Bien sur tout cela a évidemment un impact en terme de santé publique qui entraine un cout social important avec des consultations et de nombreuses journées d’arrêt maladie. Contrairement aux bénéfices qui sont privatisés, ce cout lui est mutualisé et revient au final à la collectivité par le système de l’assurance maladie. La législation mériterait d’être adaptée pour éviter de tels dérapages financiers et éthiques.