Chers internautes, ma mission touchant à sa fin, je souhaitais vous livrer les comptes-rendus des auditions que j’ai pu effectuer pendant l’année afin que vous puissiez confronter vos opinions à celles qui ont été exprimées par les personnalités que j’ai entendues.

Voici, dans un premier temps, les dix premières d’entre eux.

Audition de M. Serge TISSERON,
psychiatre et psychanalyste

(27 mars 2008)

M. Serge Tisseron a souhaité insister sur les impacts du bouleversement médiatique contemporain qui lui paraissent particulièrement importants pour les jeunes.
Le premier est l’utilisation précoce de l’anonymat par les jeunes qui, grâce aux avatars et pseudonymes, testent leur pouvoir d’intéresser autrui tout en pouvant disparaître à tout moment. Il a souligné que l’anonymat devait être la règle sur Internet et la transparence l’exception, ce qui bouleverse la relation aux autres et les règles traditionnelles. Il s’est ainsi inquiété de la récupération des données sur Facebook et du brouillage entre la vie privée et la vie publique sur Internet, estimant que cette distinction était essentielle à la constitution de la personnalité des jeunes. Il a recommandé à cet égard que les enseignants du premier degré apprennent aux jeunes la différence entre l’espace public et la vie intime, laquelle est de plus en plus floue, notamment du fait des émissions de téléréalité diffusées à la télévision.
La deuxième nouveauté est la constitution de repères extra-familiaux. Les jeunes se font des amis de leur âge sur Internet mais y trouvent également des tuteurs et mentors. Pour contrebalancer ce phénomène, il est utile que les parents discutent avec les enfants de leurs usages d’Internet. Le risque de fracture intergénérationnelle est d’autant plus présent que dans de nombreuses familles, ce sont les enfants qui expliquent à leurs parents comment utiliser Internet.
Le troisième impact est la modification du rapport au temps, à l’espace et à la connaissance. S’agissant de la connaissance notamment, il lui semble que les jeunes s’éloignent des méthodes utilisées à l’école et que l’apprentissage par le tâtonnement devient la règle. Il a insisté sur le fait que des enfants en difficulté à l’école mais plus proches des images pouvaient trouver des solutions à travers l’usage des nouveaux médias.
La quatrième conséquence est la confusion entre les images réelles et celles fabriquées sur Internet. Il s’est déclaré convaincu à cet égard de l’importance d’enseigner aux enfants la relativité des images et des informations, citant comme exemple de politique publique utile, l’indication systématique sur la télévision publique de la provenance des images, afin d’habituer le spectateur à se questionner sur leur origine.
Enfin, il s’est inquiété de l’introduction insidieuse de la publicité à la fois sur Internet (profiling des internautes) et dans les jeux vidéo qui lui semble constituer un défi par rapport au politique.
S’est ensuite engagé un débat sur l’éducation aux médias, à laquelle Serge Tisseron attache une grande importance. Ses convictions est qu’elle permettrait de reconnaître des « compétences d’images » aux personnes qui en ont, mais qu’il faut pour cela partir des images qui intéressent les jeunes, qu’il faut commencer assez tôt, sur le modèle du projet lancé à l’initiative de Georges Charpak, La main à la pâte, dans le domaine des sciences, et enfin utiliser la création spontanée des jeunes. Il estime en effet qu’un moyen très efficace d’éduquer à l’image est de passer non pas par le langage mais par la manipulation directe d’images, proposant par conséquent la création d’un site de référence « la main à l’image » par les enseignants et la mise en place d’un enseignement d’une heure mensuelle au minimum.

Audition de Mme Blandine KRIEGEL,
auteur d’un rapport sur la violence à la télévision

(27 mars 2008)

Mme Blandine Kriegel a rappelé les grandes lignes du rapport sur la violence à la télévision réalisé en 2002 et remis au ministère de la Culture et de la Communication.
Le rapport a été commandé dans un contexte d’augmentation de la violence des jeunes dans la société et à l’école, notamment contre les enseignants, alors que la violence globale contre les personnes tendaient à diminuer. Alors qu’André Glucksmann avait souligné au milieu des années 1960 qu’aucune étude scientifique ne permettait de corréler la violence des jeunes à celle représentée à la télévision, le rapport s’est appuyé sur des études menées dans les années 1990, notamment aux êtats-Unis. Procédant à une évaluation des effets sociologiques, psychologiques et esthétiques de l’inflation de la violence à la télévision, la Commission s’est au final accordée à reconnaître un effet net de l’impact de la diffusion de spectacles violents sur le comportement des plus jeunes. Une différence de comportement en fonction de la durée d’exposition à la télévision a également été constatée.
Avait en outre été constaté un retard signalé de la France par rapport à ses voisins européens dans la mise en place d’instruments de régulation à la fois efficaces et consentis par tous les partenaires contre le développement de cette violence.
La commission a d’abord effectué un travail de définition de la violence qu’elle a décrit comme étant « la force déréglée qui porte atteinte à l’intégrité physique ou psychique pour mettre en cause dans un but de domination ou de destruction l’humanité de l’individu ». Elle a ensuite mené une réflexion sur l’image pour tenter de comprendre les raisons positives et négatives du rôle qui est le sien dans notre culture. Enfin elle a établi des recommandations avec un principe directeur à savoir de « tout garder à la liberté, tout confier à la responsabilité de l’êtat, des diffuseurs, des réalisateurs, des familles, des éducateurs », tout en assurant la protection des enfants.
C’est la raison pour laquelle la Commission présidée par M. Blandine Kriegel n’a pas recommandé l’interdiction de la pornographie mais la mise en place d’un programme élargi de mise hors de portée des enfants des spectacles violents. Ont ainsi été établis, suite au rapport, des normes de classification proches de la moyenne européenne, une classification des DVD et des jeux vidéo, la mise en place de systèmes de cryptage, un détachement des abonnements aux spectacles ou aux chaînes pornographiques des autres bouquets proposés, et la mise en place d’une signalétique (ainsi les programmes violents ou pornographiques ne doivent en aucun cas être diffusés dans des tranches horaires susceptibles d’être regardées par les enfants de 7 heures à 22 heures 30).
Les missions du Conseil supérieur de l’audiovisuel ont également été renforcées : il s’est vu reconnaître la possibilité de prononcer des sanctions pécuniaires contre les contrevenants.
Le rapport insistait enfin sur la généralisation de l’éducation à l’image avec l’appui des institutions telles que le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI) ou le Centre national de documentation pédagogique (CNDP). M. Blandine Kriegel a reconnu l’insuffisance des avancées dans ce domaine.

Audition de M. Christian GAUTELLIER,
Directeur du département « enfants, écrans, jeunes et médias » des CEMEA,
Vice-président du Collectif interassociatif enfance et médias

(10 avril 2008)

M. Christian Gautellier a tout d’abord fait le constat de l’utilisation très intensive d’écrans par les jeunes : six à huit heures par jour seraient consacrées à la télévision, l’ordinateur, la console de jeux et le téléphone portable. Il estime que cette consommation ainsi que les opportunités et les risques qu’elle comporte font des médias un enjeu culturel et éducatif majeur.
L’éducation aux nouveaux médias a un triple objectif : économique, puisque les nouvelles technologies qui en sont les supports doivent absolument être maîtrisées par les jeunes dans les sociétés contemporaines, politique, dans la mesure où les médias participent à la diversité culturelle et encourage la critique et la créativité, et enfin démocratique, afin que les jeunes les utilisent avec responsabilité dans un cadre juridique protecteur.
M. Christian Gautellier a insisté sur l’importance d’une éducation pluri-médiatique, dans les mesure où les contenus passent rapidement d’un média à l’autre et où les jeunes les pratiquent souvent tous, parfois en même temps.
Il a ensuite considéré que le « bain commercial permanent » imposé par les médias plaçait les parents sous une forte pression publicitaire et regretté que les jeunes devenus des « cêurs de cible » étaient davantage placés dans une situation de consommateur que de citoyen.
Il a donc appelé une action politique à cinq niveaux :
- une co-régulation pour assurer la protection des mineurs ;
- un soutien à la création de contenus et programmes pour les jeunes ;
- le renforcement de l’éducation aux médias ;
- la formation des professeurs ;
- et l’accompagnement des pratiques médiatiques des jeunes.
M. Christian Gautellier en a conclu que l’êtat et les collectivités territoriales devaient jouer en ces matières un rôle d’impulsion et d’animation afin de garantir le succès d’une politique qui s’inscrit selon lui dans un projet de société démocratique. A ce titre, une large palette d’acteurs est susceptible d’être mobilisée dans un esprit de coresponsabilité : des institutions aux entreprises, en passant par la société civile, les éducateurs, les professionnels des médias et les producteurs de contenus.

Audition de Mme Isabelle FALQUE-PIERROTIN
Forum des droits de l’Internet

(10 avril 2008)

Mme Isabelle Falque-Pierrotin a tout d’abord souligné qu’Internet crée de nouveaux usages et que la simple transposition des mesures prises dans l’audiovisuel pour assurer un contrôle satisfaisant est insuffisante
Elle a ensuite décrit les pratiques numériques des jeunes : 70 % des jeunes de 12 à 18 ans pratiquent ainsi quotidiennement Internet, sur lequel ils ne recherchent pas vraiment de l’information (ce que croient les parents) mais surfent de manière spontanée (avec des buzz autour de certains sites), recherchent l’interactivité pour discuter avec d’autres jeunes, qu’ils connaissent déjà en général, échangent des biens culturels (la moitié des garçons et un quart des filles téléchargent), éditent des contenus avec le web 2.0. (la France est ainsi championne du monde des blogs des jeunes, avec un jeune sur trois auteur d’un blog), et jouent en ligne. . Les trois quarts du temps, l’usage d’Internet est solitaire.
Pendant cette navigation, ils ont une exposition à des contenus interdits, parfois recherchée, mais très souvent aussi involontaire
S’agissant des blogs, elle a insisté sur la méconnaissance des règles juridiques par les jeunes, notamment sur les questions de diffamation, de diffusion de photographies privées et de mise en ligne de données personnelles. Cette responsabilité éditoriale n’est pas connue, notamment parce qu’elle n’est pas enseignée. Elle a souligné en outre que les prédateurs sexuels sillonnent les blogs et retrouvent les personnes sur les forums de discussion munis de très nombreuses informations. Elle a également noté que le quart des profils ouverts sur Facebook conservait le système de paramétrage par défaut, qui est peu protecteur de leurs données. Cet « amaigrissement de la sphère de l’intime » est important puisque même les employeurs éventuels utilisent les moteurs de recherches et les sites communautaires pour évaluer les personnes qu’ils recrutent.
Sur la question des logiciels de contrôle parental, elle a regretté leur sous-utilisation. Reconnaissant qu’ils ne constituent pas la panacée, elle a souligné leur intérêt pour les plus jeunes enfants et pour les jeux vidéo en ligne. La définition de critères de qualité pour ces logiciels est aujourd’hui un impératif. Il reste que si la classification des contenus est sans conteste possible sur la télévision mobile personnelle, avec le contrôle de l’opérateur sur les portails, elle est plus difficile sur Internet.
Mme Isabelle Falque-Pierrotin a ensuite regretté que seulement 10 % des 12-18 ans affirment utiliser régulièrement Internet à l’école, ce qui constitue un retard par rapport à la Grande-Bretagne. Elle a émis le souhait que les cours d’éducation civique soient un laboratoire pour apprendre les usages sur Internet et a estimé que le B2i n’avait que très peu d’utilité du fait des connaissances qu’ont déjà les élèves.
Enfin, elle a insisté sur l’intérêt d’un outil technique supplémentaire pour renforcer la protection des enfants, tel que la mise en place d’obligations de carte bleue pour de nombreux sites ou la création de cartes d’identité numérique avec puces pour les enfants.

Audition de Mmes France RENUCCI et Evelyne BEVORT,
directrice et directrice déléguée du centre de liaison
de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI)

(17 avril 2008)
Mme France Renucci, directrice du CLEMI, a tout d’abord rappelé que cet établissement public relevant du ministère de l’éducation nationale, créé en 1983, a pour mission d’apprendre aux élèves une pratique citoyenne des médias. Des équipes du CLEMI sont donc présentes dans chaque académie, sous s’autorité d’un coordonnateur afin de :
- former les enseignants à la connaissance du système des médias d’information et à leur utilisation pédagogique en classe ;
- mettre en place des actions d’informations sur les médias pour les élèves (semaine de la Presse et des Médias dans l’école’) ;
- accompagner l’expression des élèves dans le cadre scolaire afin de les former aux circuits de l’information, à la liberté et à la responsabilité ;
- et enfin produire et diffuser des documents pédagogiques sous forme de livres, de brochures et de supports multimédias.
Mme Evelyne Bevort, directrice déléguée du CLEMI, a ensuite fait état d’une enquête européenne menée en 2006 sur l’éducation aux médias dans le cadre du plan d’action de la Commission européenne « Internet plus sûr », dont le CLEMI est l’opérateur en France. Elle porte sur les relations des jeunes de 12-18 ans aux médias électroniques (Internet, téléphonie mobile, jeux en ligne). Près de 9 000 jeunes venant de neuf pays de l’Union européenne et du Québec ont ainsi été interrogées, dont 873 jeunes scolarisés sur le territoire français. Mme Evelyne Bevort a tout d’abord expliqué que les mutations relevées entre les enquêtes de 2000 et 2006 sont très importantes, du fait de l’explosion des connexions et de l’implication grandissante des adolescents dans les décisions d’achat et les modes d’utilisation. Ainsi, aujourd’hui 96 % des jeunes Français de 12-18 ans déclarent-ils utiliser Internet. Elle s’est ensuite inquiétée du décalage entre leurs pratiques personnelles et les usages scolaires. En effet, si 70 % d’entre eux déclarent utiliser Internet à la maison, 65 % ne l’auraient jamais utilisé à l’école. L’institution scolaire ne joue donc qu’un rôle extrêmement faible dans l’appropriation de cet outil par les jeunes ce qui conditionne forcément leur manière de l’utiliser. A cet égard, elle a différencié deux catégories d’enfants : les moins de 12 ans découvrent pour la plupart Internet par la famille et l’école alors que chez les plus de 12 ans, c’est l’apprentissage entre pairs qui l’emporte.
Elle a enfin relevé qu’Internet représentait surtout pour les adolescents un moyen de communication qui convient parfaitement à leur souhait de rester en contact entre eux : 60 % des jeunes estiment important d’être tout le temps connectés avec ses amis, 9 jeunes possédant un portable sur 10 disent l’utiliser pour envoyer des SMS, et près de 60 % utilisent souvent ou très souvent la messagerie instantanée de type MSN, et un peu plus de 50 % des courriels. Elle a déclaré à cet égard : « C’est à croire que les médias numériques ont été créés pour les adolescents ». Elle a souhaité en conclusion insister sur les aspects positifs d’Internet, notamment pour les enfants d’immigrés pour lesquels cet outil est un moyen de renouer contact avec l’ensemble de leur famille et d’avoir l’impression d’être « ici et là » et d’apaiser ainsi leur sentiment d’éloignement.

Audition de M. Jean-Claude LARUE,
directeur général du syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs

(17 avril 2008)

M. Jean-Claude Larue a en premier lieu insisté sur le fait que l’âge moyen des joueurs sur les consoles est de 25 ans et que la problématique des jeux vidéo ne concerne donc pas seulement les jeunes. Il a estimé que le contrôle parental est difficile à mettre en êuvre dans la mesure où les enfants peuvent aisément les contourner et que la solution était plutôt l’information. Il a ,à cet égard, mis en valeur la classification européenne mise en place par les éditeurs de jeux vidéo qui apposent sur chaque jeu des prescripteurs indiquant l’âge auquel on peut utiliser le logiciel et les contenus choquants qu’ils peuvent receler. Le NICAM, organisme hollandais indépendant de la profession, contrôle tous les jeux et met des descripteurs en quatrième de couverture et un repère pour l’âge sur la couverture.
M. David Assouline s’est étonné de l’existence d’un descripteur qui avertit que « ce jeu contient des images susceptibles d’inciter à la discrimination » se demandant si cela signifie que l’on accepte que certains jeux puissent inciter à la discrimination ou au racisme.
M. Jean-Claude Larue a répondu que la classification était multinationale qu’elle devait par conséquent s’adapter à toutes les réglementations nationales. Il a néanmoins remarqué que la sensibilité et la loi française font que les distributeurs ne distribuent pas certains jeux.
Sur la question des addictions, il a rappelé qu’elles étaient la rencontre d’un problème personnel avec une drogue. Les psychiatres certifient que si les enfants n’ont pas de problèmes personnels par ailleurs, ils ne passeront pas à l’acte.
M. David Assouline a considéré que ce n’est pas le jeu qui crée la perturbation mais que son devoir était notamment c’est que les enfants perturbés soient protégés des mauvaises rencontres. Il a en outre distingué le problème de la violence du jeu et celui de la violence provoquée par l’abus du jeu.
M. Jean-Claude Laure a estimé qu’il s’agissait d’une problématique plus globale que celle du jeu vidéo. Reconnaissant que les éditeurs de jeux ne pouvaient pas s’exonérer de toute responsabilité, il a toutefois indiqué qu’il ne connaissait pas de solution idéale pour régler ce problème. Il a en revanche insisté sur l’importance économique du secteur qu’il serait dangereux de trop remettre en cause : le jeu vidéo pèse ainsi 1,75 milliard d’euros le jeu vidéo contre 1,45 milliard pour la vidéo, et 1 milliard pour la musique et le cinéma.
A l’interrogation de David Assouline sur le faible développement des jeux éducatifs et positifs, Pourquoi ne pas faire des jeux éducatifs et positifs. M. Jean-Claude Larue a répondu que la réflexion n’avait effectivement pas suffisamment avancé sur le « casual gaming ». Il a par ailleurs souligné que la Fnac avait créé un label « Les flèches d’or » sur les jeux positifs pendant 3-4 ans, mais qu’il n’avait pas recontré de succès et avait été abandonné.

Audition de M. Jean-Claude RICHEZ,
responsable de l’unité recherche, études et formation de
l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP)

(7 mai 2008)

M. Jean-Claude Richez a tout d’abord noté que l’appropriation de l’outil Internet se fait à 58 % dans les familles, le plus souvent de façon individuelle, l’école ne pesant que pour 10 %. Il a remarqué que cet état de fait était la manifestation de la faible interaction entre le monde des jeunes et l’école, alors que les jeunes ont une attente en matière d’accompagnement éducatif aux médias. Cette absence renforce les logiques d’éducation par les pairs, déjà très fortes dans le domaine des médias. Les technologies de l’information bouleversent les modes de socialisation et de transmission, et constitue le lieu privilégié de l’éducation informelle.
Il regrette par conséquent que rien ne soit prévu dans les équipements de proximité pour les 11-15 ans pour mettre à disposition Internet avec l’accompagnement d’adultes ne relevant ni de l’école, ni de la sphère familiale. Il a estimé que l’impératif était de partir des pratiques et de l’expérience des jeunes et qu’il serait utile que l’êtat reconnaisse davantage la qualification de personnes ressources, tels que les éducateurs et animateurs professionnels de jeunesse. Il a noté que l’éducation non formelle était mieux valorisée dans d’autres pays et qu’elle permettait de transmettre des valeurs et des connaissances dans des domaines où l’école intervient peu.
Il a néanmoins rappelé la nécessité que l’école s’intéresse aux nouveaux médias et estimé que chacun des professeurs, dans sa discipline, devait tenter de les intégrer dans ses pratiques éducatives. Il a regretté que les nouvelles technologies soient simplement utilisées comme instrument de la pédagogie traditionnelle, et que leur nouveauté et leur spécificité soient insuffisamment prises en compte. Par exemple, en termes d’utilisation des blogs, la France est en retard. Ce qui est valorisé dans les blogs, c’est la mise en scène de soi. On pourrait très bien intégrer dans l’évaluation des jeunes la maîtrise de l’outil.
Il a en outre déploré que l’êtat français soit aujourd’hui davantage dans les logiques de diffusion de l’information auprès des jeunes et que dans une logique d’accompagnement.
Sur la question de l’éducation informelle, M. Jean-Claude Richez a ajouté qu’il fallait investir beaucoup plus les lieux publics et les équipements des centres sociaux. Les pays, comme la Finlande, où l’on fait une plus grande place à l’éducation non formelle ont des résultats supérieurs à la France en matière de compréhension des nouveaux médias.

Audition de Mme Dominique VERSINI
Défenseure des enfants

(7 mai 2008)

Mme Dominique Versini a souligné que les mineurs devaient être une cible privilégiée de la politique de protection des usagers des nouveaux médias dans la mesure où ils l’utilisent de manière intense et souvent très précocement. Une étude de 2007 de l’association des fournisseurs de mobiles a par exemple révélé que 71 % des 12-14 ans et 94 % des 15-17 ans ont un mobile et que leur consommation moyenne est de 2h30 par mois.
Elle a rappelé que son rapport d’activité 2007 avait mis en lumière l’importance prise par les nouvelles technologies de l’information et de la communication dans la vie quotidienne des adolescents et les risques découlant de ces usages.
La protection du jeune téléspectateur par le CSA trouverait ainsi ses limites du fait de la multiplication des chaînes d’une part, et de la diffusion de programmes via la télévision à la demande pour laquelle les heures de diffusion ne sont de facto pas respectées. Le groupe de réflexion pluridisciplinaire de protection du jeune public à laquelle appartient la Défenseure des enfants a ainsi observé que de nombreuses émissions sont sous-classifiées, que les chaînes sont peu réceptives aux observations, et que se développent des émissions sur des relations intrafamiliales dans lesquelles les enfants sont souvent montrés à visage découvert avec la divulgation de leur prénom, leur histoire, leurs difficultés’ Tout en se félicitant qu’une délibération du CSA sur l’intervention de mineurs dans le cadre d’émissions de télévision ait été adoptée le 17 avril 2007, elle a regretté qu’elle ne soit pas suffisamment respectée notamment s’agissant du secret médical, trop souvent ignoré par les protagonistes de telles émissions, ou des services sociaux et judiciaires qui autorisent des reportages à visage découvert révélant parfois l’identité du mineur ou de ses parents.
Elle s’est en outre inquiétée de la diffusion en France, depuis octobre 2007, d’une chaîne spécialisée destinée aux enfants très petits, Baby First, intégrée gratuitement au bouquet payant Canalsat.
S’agissant de la protection des mineurs sur Internet, Mme Dominique Versini a rappelé l’importance des logiciels de contrôle parental mais souligné leurs faiblesses, notamment en raison des « surblocages » qu’ils entraînent. Elle a ensuite mis en relief les problèmes posés par l’usage interactif d’Internet : risques de manipulations sur les chats pour jeunes, blogs pouvant conduire à des contenus inappropriés, ou encore exposition de données privées sur les réseaux sociaux. S’agissant de ces derniers (Facebook, MySpace, Copains d’avant), elle s’est interrogée sur l’utilisation et la conservation des données collectées, notamment en cas de désabonnement. Elle propose à cet égard de rendre obligatoire l’insertion de messages de précaution destinés à sensibiliser les utilisateurs, et surtout les mineurs, sur les dangers potentiels des échanges.
La Défenseure des enfants a enfin évoqué le cas des jeux vidéo, insistant sur la mise en êuvre des propositions sur la protection des publics sensibles de la recommandation du Forum des droits de l’Internet publiée en novembre 2007 sur les jeux en ligne, et les risques nouveaux liés à la cyberdépendance et aux jeux d’argent.

Audition de M. Denis ROUGê,
Association « Les pieds dans le Paf »

(7 mai 2008)

M. Denis Rougé a souhaité, tout d’abord, insister sur l’importance de l’existence d’une organisation représentant les usagers des médias. Il a regretté, en effet, qu’en dépit de la place prépondérante de la télévision dans nos vies et comme outil de formation d’opinion, « tout se décide entre professionnels et politiques », sans que les usagers ne puissent exprimer leur opinion. Ainsi, ni la commission Copé, ni le Conseil supérieur de l’audiovisuel, ni les chaînes ne font-elles de place aux associations représentant les usagers. Ce que dit le téléspectateur n’a aucune influence sur l’évolution des programmes.

A M. David Assouline qui lui demandait comment créer une association représentative de tous les courants de pensée, M. Denis Rougé a répondu que la solution pouvait résider dans la création d’un conseil consultatif des programmes avec plusieurs associations. Il a également préconisé la définition d’un statut de l’usager.

Il a ensuite déploré que le secteur associatif n’ait pas sa place à la télévision. Ainsi, si deux chaînes associatives avaient été candidates parmi les 69 projets de chaînes de la Télévision numérique terrestre, aucune n’a été retenue. Alors qu’il y a eu des soutiens pour les radios libres, aucun fonds n’a en revanche été mis en place pour des télévisions associatives locales qui auraient très bien pu exister.

Cette inexistence de l’usager impose, selon M. Denis Rougé, de mettre en place une éducation aux médias à l’école, mais aussi pour les citoyens. A cet égard, l’association Les Pieds dans le Paf organise des manifestations comme l’accueil de classes de découverte dans des cours d’éducation aux médias, des réunions d’échanges avec les professionnels de la télévision et participe à la semaine sans/100 télés.

Audition de Mme Dahlia KOWNATOR
Déléguée générale de l’Association des fournisseurs d’accès et des services Internet (AFA)

(22 mai 2008)

Selon Mme Dahlia Kownator, l’AFA s’est fixée une mission de protection de l’enfance et de lutte contre les contenus odieux. Le site Internet www.pointdecontact.net a ainsi été mis en place en 1998 pour recueillir les signalements des internautes relatifs à des contenus portant atteinte à la dignité humaine ou incitant à la haine raciale, et à des actes terroristes ou violents’ Un formulaire en ligne permet aux internautes de signaler anonymement les contenus rencontrés sur Internet.
Elle a rappelé que la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique mettait à la charge des prestataires Internet une obligation de signalement de certains contenus attentatoires à la dignité humaine. Dans cette optique, les membres de l’AFA se sont engagés à mettre à la disposition des utilisateurs de leurs services un accès facile à un formulaire de signalement d’abus. Les contenus abusifs signalés par les internautes sont ensuite transmis aux autorités de police compétentes.
Le point de contact travaille surtout avec l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication auquel il transmet les contenus analysés comme potentiellement illégaux. Mme Dahlia Kownator s’est félicité par exemple de quelques cas concrets d’investigations couronnées de succès, suite à des signalements du Point de contact : les auteurs d’un site incitant à la haine raciale et informant sur la manière de fabriquer une bombe ont notamment été arrêtés en juin 2007, suite à un signalement datant du mois d’octobre 2006 ; l’auteur d’un blog incitant à la haine raciale signalé en 2006 a été condamné en juin 2007 à suivre un stage de citoyenneté à ses frais ; enfin, le traitement du signalement « Point de Contact » du 29 août 2007 a permis d’identifier l’auteur d’une diffusion relevant de l’article 227-23 du Code Pénal (dessins pédopornographiques particulièrement violents). L’enquête a permis de détecter que cette personne entrait par ailleurs en contact avec des mineures via Internet, à des fins pouvant relever de l’article 227-22-1 du code pénal. Elle a été placée en garde à vue puis en détention provisoire.
En 2007, le site a reçu 13 610 signalements, dont 6 647 ont été considérés comme potentiellement illégaux par les analystes de contenus. La majorité de ces signalements sont hébergés à l’étranger, parfois dans des pays ne disposant pas de « hotline » membre du réseau européen de services d’assistance en ligne INHOPE (Russie, Panama).
Mme Dahlia Kownator a souligné que l’appartenance au réseau INHOPE était indispensable pour atteindre les contenus hébergés dans des pays étrangers, ou lorsque l’auteur présumé du crime ou du délit réside à l’étranger. Il est aujourd’hui constitué de 33 hotlines réparties dans 29 pays, qui communiquent très régulièrement entre elles.
Elle s’est enfin félicitée de l’augmentation de l’utilisation des logiciels de contrôle parental que les fournisseurs d’accès membres de l’AFA se sont engagés à mettre en place gratuitement pour les parents, au-delà de l’obligation légale posée par l’article 6 de la LCEN.